jeudi 2 juin 2016

Barcelone saison 2

Une affiche de Miró de 1938 soutenant la lutte 
républicaine contre les militaires
 franquistes.
 "L'élan républicain 
espagnol étonnera le monde"
Je cherchais quoi à Barcelone ? Plusieurs fois je m'y suis perdu, me retrouvant là où je ne pensais pas. Les grands axes trop larges, croisant diagonales et perpendiculaires, font penser aux villes reconstruites après des bombardements. Les drapeaux rayés rouge et jaune, comme autant d'appels à l'indépendance donnent des couleurs aux fenêtres. Un peu partout, on s'affiche en catalan, même si en s'approchant des plages et des lieux touristiques,  un espace est laissé à l'anglais, à l'allemand comme au castillan. Sans doute je cherchais des images liées à mes souvenirs d'adolescent de la guerre civile espagnols, et de la vaillance de la ville, dans son combat désespéré contre l'avancée franquiste. 
Mais ce n'est pas ce qui permet de se retrouver dans cette ville vouée à la modernité. La Sagrada Familia, les tours de Jean Nouvel ou de Bofil, sont de meilleurs points de repères quand on quitte la rambla et les plages. 
Mais non, on a beau faire, si Barcelona offre à chacun ce qu'il y cherche, les plages, le tourisme, les boîtes de nuit, les affaires, un grand port méditerranéen, l'architecture florissante d'une ville moderne, une ville d'art et de culture, et même un quartier ancien, Barcelone reste définitivement perturbante. 
Sur la Rambla, hommage en
catalan rendu à Andreu Nin,
 leader trotskiste assassiné 
 par les staliniens.
Par exemple, Barcelone, c'est quoi ? C'est pas espagnol ? C'est Catalan ? Ça veut dire quoi, être catalan ? Impossible de traduire catalan par catalan. C'est sur que ça ne signifie pas la même chose d'être Catalan pour un français, même indépendantiste, ou pour un espagnol. Et d'ailleurs, à propos de l'espagnol, est-ce qu'il faut dire qu'on parle castillan, ou qu'on parle espagnol ? Toujours est-il, je ne cherche pas d'excuse, mais, pendant mes 10 jours de présence en Espagne, je n'ai pas eu l'occasion de retrouver ma pratique de la langue, et j'avais besoin de chercher pratiquement chaque mot dans le dictionnaire. On ne sait pas dans quoi on baigne dans Barcelone. 
Dans un petit restau, la patronne m'explique qu'elle n'est pas catalane, elle n'a pas envie de parler d'indépendance. Elle parle castillan. Castillan ? Quelle drôle d'idée que de dire qu'on parle castillan, une façon de dire que l'espagnol n'est pas une langue, juste une réalité administrative. Comme si de la quasi totalité de l'Amérique du Sud, d'une forte minorité des Etats Unis, d'une partie de l'Afrique, des centaines de millions de personnes ne parlaient pas l'espagnol ? Quelle drôle d'idée pour les catalans de se priver d'une langue et d'une culture qui a tant donné au monde. 
Sans doute, en choisissant d'imposer le catalan comme première langue, les indépendantistes n'empêcheront jamais la langue et la culture espagnoles de peser lourdement dans la réalité de ses locuteurs. 
Je me souviens de mon professeur d'espagnol, Ilario Ortega, me reprenant alors que j'étais si fier de prononcer Juàn Miró, avec la jota espagnole, pour me dire que l'artiste se revendiquait Joan Miró, et que le Joan se prononçait avec un j à la française, suivi d'une nasale, comme chez nous. Bref, si les catalans étaient capables de parler d'Espagne, ils se sentent catalans depuis longtemps. C'est que la Catalogne a été une Nation, une nation qui a mis les pieds en Sicile ... et même la Méditerranée a porté le nom de "lac Catalan". Les Borgia sont catalans d'origine. Et les catalans ont eux aussi colonisé la Sicile, ou une partie, quelques années. 
Gaudi, le grand architecte de Barcelone, revendiquait une Nation catalane. C'était l'époque des revendications nationalistes en Europe, la Grèce face à l'empire ottoman, l'Italie, comme remède à sa domination par les puissances étrangères ... Gaudi, lui, n'obtiendra une reconnaissance internationale que bien plus tard, Salvador Dalí, lui rendant notamment hommage. Et de fait, entre Miró, Gaudí, Dalí, il y a de quoi définir une influence catalane dans l'art plastique européen, d'autant que Picasso a eu droit à l'appellation peintre catalan, puisque formé à Barcelone. 
Gaudi a été au cœur de toutes les influences d'un siècle qui a, de surcroît, permis l'extension urbaine de Barcelone. La ville avait été en effet interdite de construction hors les murs depuis 1700 par le pouvoir central. 
Bien sûr, c'est toujours excessif, de limiter le génie d'une ville
à une seule personne, d'autant que la personne en elle-même
n'aurait pas atteint le génie sans le génie de la ville elle-même.
Il n'empêche, on ne peut comprendre Barcelone sans passer
par la case Gaudi. Ici, colonnes et lumières.
Gaudi s'épanouit à un moment où l'Espagne s'affaiblit. Elle perd ses colonies et offre beaucoup moins d'intérêt économique à la bourgeoisie catalane qui, parallèlement, s'ouvre aux créateurs, même si ceux-ci donnent dans l'innovation sociale, comme Gaudi. Pour se convaincre que Gaudi est  l'architecte le plus génial de son siècle, il faut se rendre à l'intérieur de la Sagrada Familia, même si le parc Güell éblouit. Dedans, on est autant pris par la cohérence du site que par le fait qu'on oublie tout ce que l'on vient d'admirer en s'approchant du site. Parce que Gaudi, dont  les statues, comme autant de bizarreries, de colifichets, les créations nous ont émerveillé, se révèle enfin pour ce qu'il est : un grandiose architecte. Comment finalement juger un architecte, tant qu'il n'a pas construit d'église ? 
Escaliers en colimaçon, ascenseurs, on se dit que Gaudi a
aussi inventé la bande dessinée de science fiction avec un
demi-siècle d'avance. Si l'on est impressionné par la Sagrada
Familia à l'extérieur, on ne peut vraiment la saisir qu'en
visitant aussi l'intérieur. Même si c'est cher. 15 €.
Or c'est aussi parce qu'il a construit cette église qu'il a été rejeté d'abord par les anarchistes et républicains espagnols, et ensuite sans doute par les bigots franquistes incapables d'apprécier le génie du grand homme. Il aura fallu finalement Dali pour permettre enfin à Gaudi d'accéder à une reconnaissance internationale, empreinte de catalanité. 
Et pourtant, loin des institutions et du discours officiel, lorsque Gaudi est mort accidentellement, il y a eu foule pour l'accompagner, alors que les funérailles n'étaient pas officielles et que la bourgeoisie bien-pensante le rejetait. Simplement, le peuple, avant tout le monde reconnaissait le génie de celui qui recherchait dans la nature la cohérence de sa fantaisie. 
Tout cela m'a d'ailleurs été très sérieusement expliqué la dernière nuit de ma présence à Barcelone où j'ai pu assister lors de la nuit des musées à une exposition sur Gaudi.
Sardane générale sur la place de Barcelone. 
J'ai d'ailleurs longtemps hésité avant de me rendre à cette exposition. Il y a tant de choses à voir à Barcelone, et tout est tellement cher, qu'on a du mal à choisir. D'ailleurs, c'est pas pour dire, mais dire que les œuvres de Gaudi font partie du patrimoine de l'humanité mais fixer le prix de certaines visites à 40€, revient à dire que les œuvres font partie du patrimoine des classes aisées. Plus que regrettable !  Bref, la nuit des musées, j'ai choisi Gaudi ... notamment parce que c'était proche de mon lieu d'hébergement. C'est là que j'ai mesuré le génie du bonhomme, le lien entre son oeuvre, son époque, qui est celle aussi du Jugendstil, et de son lieu de vie : Barcelone, la Catalogne, la Méditerranée, et la façon dont son besoin de précision entretenait un rêve qui touche à l'Universel.
Pendant que je faisais la queue, j'ai été distrait par une sardane, organisée sur la place.  Beaucoup de gens qui dansaient et prouvaient qu'on était bien en Catalogne. J'avais vu la même chose à Andorre, mais j'avais cru que c'était pour les touristes. 
Beaucoup de vélos à Barcelona, beaucoup de publicité sur
son bénéfice-santé, ici en espagnol chez Miguel. 
Bon, c'est pas le tout, mais Barcelone, on a beau dire, c'est pas que de l'art et de la culture. Il y a beaucoup de vélo à Barcelone. Du vélo gratuit pour les Barcelonais, et des vélos en location pour les autres. Dommageable discrimination, mais pour le coup, il y a de très nombreux commerces dédiés à la location de bicyclettes. Moi, je n'en avais pas grand chose à faire, j'étais venu avec mon vélo. Mais justement, comme je me lassais des crevaisons et que je me disais que je me serais bien fait visionner mon vélo par un professionnel après, quand même, 2.500 km de route et pas mal de crevaison. 
On m'avait fait acheter à Saint-Gaudens, une bande à placer au fond du pneu pour le renforcer et décourager toute épine, épingle et autre punaise de s'immiscer dans mon projet. 
J'ai le sentiment que mon périple intéresse. En particuliers
chez ceux qui font profession de retaper les vélos comme
Miguel qui propose de réparer les vélos avant de les remettre
à la vente. Gracias Miguel !
Miguel était contre. Miguel, c'est l'homme à qui j'ai confié l'entretien de ma bicyclette,  et qui avait son magasin à coté de la location. Il m'a dit qu'il ne croyait pas au coup de la bande. Elle va finir par glisser me dit en particulier et en espagnol car il parle parfaitement ces deux langues ... Heureusement d'ailleurs qu'il ne me l'a pas dit en Catalan. Il était content de voir mon vélo, de pouvoir travailler dessus. Il m'a commandé des pneus, des Marathon de chez Schwalbe que l'on m'avait conseillé. Sauf que ces pneus sont trop épais pour mon vélo. Il s'en est aperçu en les montant, lorsqu'ils se sont frottés aux gardes-boue. Du coup, il en a commandé d'autres, des "michelin wild run R", quelque chose qui se définit comme "gravel" et qui devrait me permettre d'affronter des terrains pas toujours asphaltés et de m'en tirer avec beaucoup moins de crevaison.  Miguel m'a changé ma vieille chaîne logiquement distendue et m'a repris mon pneu de rechange, conseillé chez décathlon Bron, et dont j'étais sûr alors qu'il ne m'aurait été d'aucune utilité. 








 












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