mercredi 31 août 2016

Dis, papa, c'est encore loin la Sicile ?

Tais-toi et roule !

Une fois quittée Santa Severina, je me disais que je n'avais plus rien à faire en Calabre. Je voulais arriver au plus vite en Sicile, tout cela n'avait que trop duré. 
Encore, je n'étais plus sur de rien. Une fois mon vélo réparé, j'avais encore des inquiétudes. Il faisait un inquiétant bruit de frottement. C'était gênant pour un pneu. Encore plus gênant, Luigi, le réparateur en avait marre aussi de ces réparations ... Il ne voulait rien entendre. J'avais attendu 14h, qu'il revienne à l'atelier et rien à faire. Il était dans le déni le mécano. J'ai tout fait me disait-il. Sur mon insistance, il a encore scié un bout de vis qui touchait le pneu avant. C'était bien, ça frottait un peu moins, mais ça frottait toujours et je me disais : nom de Dieu, pourvu que le pneu n'expose pas avant la Sicile, qu'au moins ça n'explose pas dans ce coin désert entre Santa Severina et la mer.
Oui, Roberto, tu viens en Normandie quand
tu veux ... mais je te préviens : la Normandie
cette Normandie que j'aime, n'est pas le pays
du bon vin. 
Du coup, j'en oubliais les bons moments à Santa Severina, et les Puzelle en particulier, avec l'accueil de Roberto, le fils de la maison. 
Il était comme fasciné par mon histoire. Oui, la Normandie lui disait quelque chose. C'était le pays des huîtres et de la mer froide. Je me suis dit qu'il confondait la Normandie et la Bretagne. Vu de Calabre, ça n'a rien d'étonnant. J'ai rencontré quelques Français au Sud de la Loire qui confondaient Normandie et Vendée. C'est quand il m'a dit qu'il y avait du bon vin en Normandie que j'ai essayé de corriger son point de vue.
La Normandie, je lui ai dit, est un pays où il y a beaucoup de pommes. Il y en a autant que de citrons en Calabre. Pour les moules, oui, il y en a en Normandie. D'excellentes, même ... mais c'est un peu plus le pays des moules marinières que des plateaux d'huîtres. Quand tu iras en Normandie, Roberto, bien sûr tu pourras passer me voir, mais n'y va pas pour le vin. Il y a eu des vignes en Normandie, maintenant elles ne sont plus là que par la volonté de quelques fantaisistes. La géographie est aussi triste que le réel ... même si parfois, elle est aussi joyeuse que la réalité. Que toutes ces histoires ne t'empêchent pas de rêver.
Roberto, en son cadre professionnel. Ce
qu'on appelle l'agroturismo en Italie, et qui
permet de relier pratique agricole et tourisme
J'étais soulagé de retrouver la côte Ionienne. D'abord, j'étais à peu près sur de retrouver aisément un camping, je n'étais plus à l'intérieur des terres. Ensuite, passant de village en villégiature, d'une cité balnéaire l'autre, je voyais les boutiques des loueurs et réparateurs de bicyclettes qui me rassérénaient. Vers 19 h. je décidais de cesser de pédaler. J'avais passé Catanzaro, c'était le principal. Je savais avoir fait un sacré détour qui m'avait fait perdre 24 heures. Mais je ne voulais pas avoir perdu plus d'une journée. J'avais trop soif de Sicile, et je me disais que tous ces obstacle étaient peut-être un signe comme quoi je n'y arriverai jamais
Arrivé à Soverato, j'ai demandé à la première personne  rencontrée où se trouvait le camping. Je fus à peine surpris par la réponse péremptoire : 
- Il n'y a pas de camping à Soverato. 
Je mettais ce type de réponse sur le même plan que mes crevaisons. Une mise à l'épreuve du seigneur ou un signe du destin, selon l'humeur. 
De quoi sourire, d'autant que quelques instants plus tard, après un temps de réflexion, mon interlocuteur se ravisait. Oui, il y a un club sur la plage, il Glauco, qui accueille les campeurs. 
Il glauco, quel drôle de nom pour un camping. J'y arrivai après être passé sous un pont de chemin de fer, dans un chemin perdu, qui longeait la plage et je me disais que ça ne pouvait être que là. Je traversai une salle de restauration, et attendis qu'on s'occupe de moi. Oui, c'est vrai que le camping est mal indiqué, mais c'est normal, il est en train de mourir. L'avenir du camping, en Italie, c'est le camping car et ils en peuvent pas passer sous la ligne de chemin de fer. Du coup, je me retrouvai au cœur d'un vaste espace, avec une plage privée pour moi tout seul, ou presque. Il y avait une dizaine de personnes, moi compris répartis en 3 ou 4 campements.

Au bout j'ai cru voir la Sicile, tant
j'en avais soif. La carte me démontra
un peu plus tard que ça ne pouvait
être le cas
J'ai évoqué cette question un peu plus tard avec le chef ... C'était une sénégalaise heureuse de parler français. Elle travaillait en Calabre depuis quelques années. 
C'est tellement dur, la Calabre, cette terre magnifique, à qui il manque si peu pour être un pôle touristique majeur. Elle évoquait la situation sociale dramatique des travailleurs calabrais, payés à coup de pierre, quand ils étaient payés. Certains attendant leur salaire depuis plusieurs mois. Elle racontait, elle qui avait une situation privilégiée en tant que chef cuisinier, la façon dont les collègues pleuraient en évoquant leur situation, étant incapable de payer le loyer pour leur famille. Sans doute cela est il plus vrai qu'ailleurs dans les métiers saisonniers du tourisme. 
Il ne s'agissait pas pour elle de critiquer son employeur, qui au moins lui assurait un revenu. Hélas, le dialogue s'est achevé trop vite. Elle est partie, appelée par son travail. Je suis retourné dans ma tente d'autant plus tristounette qu'elle était au cœur d'un grand vide. 



dimanche 28 août 2016

La prière de Santa Severina

Surtout, je ne voulais pas m'arrêter à Santa Severina. A dire la vérité, je ne devais même pas y passer. Le nom m'amusait, à cause des Sèverine que j'ai connu, et d'une chanteuse qui a été à la mode quelques mois quand j'étais adolescent, mais je ne pensais pas qu'il y avait des canonisées qui portaient ce nom-là... et je pensais encore moins en retrouver un exemplaire en Calabre.
Je voulais d'autant moins m'y arrêter que je n'aurais jamais dû y passer. 
J'avais quitté au petit matin la maison de Vincenzo en gardant un bon souvenir de Cosenza, mais je ne voulais pas m'y installer. Le confort, c'est l'ennemi du voyageur. Cosenza est une belle ville, qui fleure bon le moyen-âge. On n'est pas dans une cité antique du bord de mer. Les grecs n'ont guère colonisé sur les hauteurs. Dans les rues de Cosenza, j'ai aussi croisé une belle statue de Chirico. Voilà qui augmentait mon plaisir d'avoir pu profiter d'une vraie maison pour moi tout seul, obligeamment prêtée par Vincenzo, avec salles de bains, cuisine, télé, confort inouï pour un cyclo campeur. 
Cosenza, rencontre au coin de la rue.
Hector et Andromaque sculpté par Chirico
Au matin, j'ai croisé Rosa, la maman de Vincenzo, qui m'a embrassé en me complimentant pour la performance de l'équipe de France. La veille, on avait éliminé l'Islande dans les 1/4 de finale de la coupe d'Europe. Oui, je n'y étais pas pour grand chose, mais, comme je dis souvent, les compliments sont toujours trop rares. Maintenant, au fond, je n'avais plus qu'un seul but : la Sicile. Je pensais y arriver en deux jours, peut-être trois... 
Je suis parti au petit matin, direction Catanzaro... et dès le petit matin, je me suis trompé de route... Je pensais que Catanzaro était la direction principale, tellement évidente qu'elle serait indiquée partout à la sortie de Cosenza. En fait, non. Le grand axe relie Cosenza à Crotone et je m'en suis rendu compte tardivement et de toute façon, je n'aime pas faire demi-tour. 
Dans l'ascension qui mène à la zone protégée de Sila, un automobiliste m'a proposé de me prendre à bord. Trop gentil, comme on dit maintenant. J'ai refusé, bien sûr. Mais cela voulait dire deux choses. La première que les Calabrais sont des gens bien sympathique, puisque ce genre de comportement, je ne l'ai jamais trouvé ailleurs, et la deuxième c'est que la côte promettait d'être longue. quand même qu'il y avait encore beaucoup de kilomètres d'ascension. Cela dit, le paysage magnifique m'a délicieusement aidé à supporter la raideur de la pente..
Dans la descente, je me suis arrêté à la recherche d'un lieu où m'allonger en l'absence d'espaces aménagés. Je me suis écroulé de sommeil avec mon casque sur la tête. Mauvaise idée. Des ouvriers qui travaillaient à l'entretien de la route et qui m'avaient repéré de loin sont venu me parler histoire de vérifier que je n'avais fait ni incident ni malaise. Ce n'était pas les meilleures conditions pour un sommeil réparateur, mais bon ...
 Une église Arménienne, bizarrerie de Santa Severina, 
Lieu d'accueil de peuples pourchassés.
J'ai repris la route assez en forme et ça descendait. J'ai rasé la commune de San Giovanni in Fiore, ville d'origine de François Spadafora, président de l'association de jumelage San Vito/Louviers. Et puis, voilà, je n'avais plus qu'une chose à faire, sortir de ce grand axe pour rejoindre la mer, sans passer par la case Crotone, la grande cité grecque, que je n'aurai pas le temps de visiter si je voulais arriver rapidement en Sicile.
Luigi, bien sûr, ne fait pas que réparer les
crevaisons de bicyclettes. Il répare tout,
encore à 70 ans. Mais sa passion, c'est
les voitures anciennes.
Je pensais frôler Santa Severina, ville que je voyais située sur les hauteurs, encore une cité construite pour protéger les populations, et attaquer l'ennemi ... et puis j'ai crevé à cinq kilomètres de la commune. Ce n'aurait pas été si grave, si une fois assurée la réparation, je n'aurais pas subi deux kilomètres plus loin une nouvelle crevaison. Alors, je me suis résolu à pousser mon biclou jusqu'au Santa Severina en espérant qu'il y ait un réparateur de vélo, et qu'il ne se trouve pas trop sur les hauteurs.
Les gens me rassurèrent : je ne pouvais pas le louper... C'était près d'un tabac ... En fait, à force de ne rien voir, au bout de deux kilomètres, on m'expliqua que c'était juste derrière moi. Il y avait des voitures, mais des vélos jusqu'au tracteur, Luigi réparait tout. 
De fait, il répara ma crevaison immédiatement, mais, quand je lui expliquais que j'avais crevé deux fois de suite, il m'expliqua qu'il ne pouvait pas me laisser repartir comme ça, que le pneu était usé ... et qu'il faudrait aller s'en procurer un à Crotone mais qu'il était trop tard et qu'en attendant, il fallait que j'aille dormir à l'auberge du coin. 
Bof, contre fortune bon cœur. J'ai profité du site qui m'a permis de découvrir un pamplemoussier. C'était la première fois que j'en voyais un. Le lendemain j'ai été voir la ville, non sans avoir été visiter les marchands de vélo de Crotone. Un épisode pénible coincé dans la voiture de Luigi qui vomissait des propos racistes en m'amenant à la grande ville distante d'une trentaine de kilomètre. Oui, Crotone c'est plus ce que c'était . Bien sûr, on ne peut le nier, me disais-je. Crotone, n'est plus la grande cité grecque qui a bercé l'Histoire, et notamment celle des jeux Olympiques avec Milonson super champion . 
En fait, non, c'était le discours nostalgique, le"c'était mieux avant" des gens qui ne supportent pas de vieillir. Il parlait juste du Crotone de sa jeunesse. Moi, je me consolais en pensant que déjà, lors du Crotone de la grande Grèce, les humains se plaignaient et regrettaient sans doute que la Crotone de l'époque ne fût pas la même de celle de quelques années avant. Je me disais : il y a une chose qui n'a jamais changé, c'est la bêtise humaine.
Le pamplemoussier des "Puzelle"
Voilà, maintenant, une fois qu'on est bloqué dans un village qu'on en connaît pas, il n'y a qu'à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Santa Severina est une bien jolie commune perchée, qui permet d'apercevoir un paysage magnifique. J'y ai été logé aux Puzelle, ce qui effectivement veut bien dire "les pucelles", du nom des collines alentours et de l'histoire du lieu qui fut un couvent et dont il reste une chapelle. C'est là que pour la première fois de ma vie, on m'a montré ce qu'était un pamplemoussier.
M'enfin, malgré tout, j'étais bien content de quitter la ville le lendemain midi. Mon escapade imprévue m'avait coûté bien cher, et j'étais heureux de retrouver le littoral et la perspective de la Sicile, que je ne perdais pas de vue. 




L'hôtel de ville astrologique de Santa Severina

Vue de la place centrale de la commune

La cité perchée, vue des Puzelle

vendredi 26 août 2016

Calabres

Avec la chaleur, je m'étais promis de ne pas rouler après 13h. Au delà de 35 °, il faut faire attention, même si le vélo n'est pas la pire des pratiques en cas de grande chaleur. On risque moins, après tout, si l'on se protège la tête et le corps à rouler à un peu plus de 20 kilomètres/heure que de rester tout nu sur une plage en plein soleil ... et je ne parle pas du burkini !
Avec le vélo, on se crée du vent. Beaucoup plus qu'en faisant un jogging en tous les cas. La difficulté c'est quand même que je me faisais des séances de plusieurs heures de vélo, et qu'on dépasse rarement les courses de deux heures. Ensuite, le terrain est forcément irrégulier. En fait on fait du 20 km/h, s'il n'y a pas de vent et si ça ne monte pas. Dans le cas contraire, ça peut faire des dégâts, d'autant qu'effectivement, on ne voit pas toujours venir la côte, lorsqu'on ne connait pas le chemin, et que dans l'effort, on perd en lucidité. 

Ayant à longer très longtemps le littoral, je me suis moins soucié de cela que d'éviter la grande route qui menait jusqu'en Calabre, qui était pour moi terre inconnue. J'étais bien content d'avoir une adresse à joindre à Cosenza, parce que j'allais sans doute pouvoir me défaire des vieux stéréotypes que je me faisais sur la Calabre, terre misérable, peuplée de bandits et de montagnes. 
Comme souvent, je me suis fait piéger en voulant éviter la 4 voies qui y menait. Une route bien balisée et magnifiquement entretenue m'amena à un cul de sac qui me poussa à faire demi-tour, mais la chaleur n'était pas encore au maximum. Il n'empêche que ce surcroît de route n'était pas la bienvenue, d'autant qu'elle me contraignait encore à rouler sur une trop large route ou roulaient de trop gros poids lourds pour mon vélo chargé. Je trouvais que je n'arrivais pas à me sortir des Pouilles et j'avais soif de Calabre (avis aux amateurs de contrepets)
J'eus enfin satisfaction lorsque la voie se rétrécit et fit que j'étais enfin autorisé à y rouler et je passais enfin en Calabre, réalisant que je n'avais quitté les Pouilles depuis bien longtemps. J'étais dans le Basilicate sans le savoir. 
Il était près de 13 heures. C'était l'heure de la pause à Rocca Imperiale. 
Comme beaucoup de communes italiennes, la cité historique se trouve loin de la ville neuve. C'est encore plus vrai dans les villes de mer et l'axe est-oust qui y mène a d'autant moins d'intérêt pour une pause méridienne que les bancs qui la jonchent se trouvent à l'écart des arbres qui la décorent. Pour le dire rapidement, pas un poil d'ombre dans la grande rue à 13 h. sous le soleil brûlant (les bancs étaient en fer). 
Je réussis malgré tout à me trouver un petit coin d'ombre pour un casse-croûte inconfortable et décidai que le mieux serait encore d'aller au bistro qui me tendait les bras. Ici, pensais-je, il y aurait de quoi prendre un café et remplir mes gourdes. 
Le café s'appelait Jefferson. Je ne comprenais pas bien ce que faisait cette référence à l'ancien président des Etats-Unis dans ce village calabrais. Je sentais une atmosphère particulière, tenant du blues, de l'amour des belles choses, de l'attention à l'autre. Je parlais à l'un des clients qui avait remarqué mon petit manège à la recherche d'un espace ombragé. Pendant que j'expliquai d'où je venais, on m'amenait une citronnade et je faisais la distraction du bistro qui était beaucoup plus qu'un bistro. On m'y a même proposé de me loger, de revenir, ce que je crois que je ferais un jour. 
Je quittai ce lieu magique trop rapidement. Après tout, me dis-je, je suis en route pour la Sicile, attendu dans la soirée à Cosenza, je ne peux pas m'arrêter à chaque occasion. 
Le café Jefferson, une sacrée équipe
Pourtant, quelle belle équipe ! A vrai dire, je profite du récit pour faire ce que je n'avais pas encore fait, aller sur leur page facebook qui résume la démarche de ces amateurs splendides qui ouvrent les portes de la Calabre aux amoureux de musiques et de liqueurs, de récits, de citrons, de bières, de vins et de poésie, de repas, et de produits artisanaux locaux. Ils sont bien sûr défenseur du slow food, en opposition au fast food. On est bien au delà du bistro. Ils me firent deux cadeaux avant de partir. Le premier ; une indication claire et précise de la route jusqu'à Cosenza et le second un citron magnifique, garanti sans engrais. Un vrai citron calabrais. Il y avait là dès l'entrée, de quoi écraser tout préjugé sur la Calabre. 
Champs de cactus calabrais
Le reste de la route allait confirmer cette joyeuse impression. Je poursuivais en m'amusant des annonces des stations balnéaire qui annonçaient fièrement ou malicieusement d'avoir la mer la plus bleue. Ça faisait pensait au sketch de Coluche qui s'amusait de la formule publicitaire "plus blanc que blanc". 
Mais finalement, là n'était pas le plus extraordinaire. Je passai par Sibari, la ville des Sybarites. Je ne savais pas qui étaient les Sybarites, mais le nom me disait quelque chose. Ça faisait partie de la culture grecque que je n'ai pas. En fait, à côté de Sibari, il y a la plaine de Sibari, une plaine immense, qui commence par une rizière, et qui se termine par l'exploitation de fruits qui bénéficient de l'eau, du soleil et du savoir faire des hommes. 
La riche plaine Sybarite, qui explique au regard
de l'Histoire qu'on se soit tant battu pour elle
Tout en pédalant je calculais mon heure d'arrivée probable à Cosenza... C'était bien entendu une erreur. Jamais en bicyclette on ne peut calculer le temps à parcourir en fonction du temps parcouru. On ne sait jamais ce qui peut arriver, et surtout on ne connait pas le terrain. Ainsi on peut se dire qu'on a roulé à 23 km h et qu'on a fait le plus dur et qu'on peut estimer qu'il ne reste après tout qu'une soixantaine de kilomètres à parcourir et que vu que tout a été bien jusqu'à présent, il n'y a pas de raison que ça ne dure pas.
Spezzano Albanese, un des villages dédiés,
dans son appellation même aux Albanais qui
ont fui leur terre au 15e siècle.
Hélas, c'est rarement le cas et l'on peut se dire aussi, s'il reste une soixantaine de kilomètres à faire que, si ça se passe bien, cela durera au moins trois heures, pause comprise. Or, les meilleures choses ont une fin. La plaine sybarite aussi. Et il faut bien tôt ou tard franchir les monts calabrais que se dessinent au loin. Ainsi, pour mon malheur la route obliquai à gauche ce qui signifiait forcément son élévation. Après quelques kilomètres de montée, j'abordais Spezzano Albanese, cette commune qui porte son
histoire dans son nom, comme la Piana Albanese en Sicile, terres laissées aux Albanais fuyant les invasions ottomanes... Même si la Pianura degli Albanese a connu une Histoire récente encore plus tragique avec le massacre par la mafia de manifestants le 1er mai 1947.
C'est ce à quoi je pensais pendant la montée. Et pendant que ça continuait à monter, je continuais à penser au massacre, à ces gens d'une petite ville, manifestant pacifiquement et se faisant massacrer par Salvatore Giuliano, chef mafieux et sa bande pour instituer la terreur. Il y eut 11 morts, 27 blessés, et parmi les morts, cinq enfants de moins de 18 ans dont une gamine de 8 ans. 
Jolie vue avant d'arriver à Cosenza, prise alors qu'il fait encore 
jour. La ville est encore lointaine. J'y arriverai la  nuit tombée
La route, un peu plus loin balayait ces pensées. Cosenza se trouve sur un plateau, j'y parvins bien plus tard que prévu, après tours et détours dans la cité et retour sur mes pas au Macdo, excellent lieu de rendez-vous. Vincenzo, en vacances ne m'attendait pas et avait délégué Rosa, sa maman, qui m'a amené chez lui, me permettant de profiter du confort de l'appartement, et même de suivre le lendemain, la victoire de la France sur l'Islande pendant l'Euro.









De San Vito a Metaponte

Je me souviens que la première fois que j'ai été dans les Pouilles, il y a près d'une trentaine d'années, c'était par curiosité : je me demandais comment c'était dans le talon de la botte. 
C'était tout ce qu'il fallait pour être déçu. Brindisi, Otrante étaient des noms qui me faisaient rêver, parce que riches d'Histoire ou d'histoires, même si je ne savais pas exactement lesquelles. En fait d'histoires, je m'étais retrouvé dans un camping plombé par la chaleur et les animations nocturnes destinés aux ragazzi, à la jeunesse adolescente. Bref, un soleil étouffant, des plages où l'on ne pouvait pas marcher, et finalement aucune notion de ce que ça faisait de vivre dans un talon. 
San Vito dei Normanni aussi se trouve dans le talon, mais moins profondément qu'Otrante ou même Brindisi. Quand j'ai quitté la petite ville, je ne voulais plus penser qu'à la Sicile, et ne plus me perdre dans des élucubrations géographiques. Il y avait certes des étapes, dont la plus importante était la maison de Vincenzo, à Cosenza, en Calabre. Vincenzo est le neveu d'Agnes Grillo, qui a beaucoup fait pour le déroulement de mon voyage en Italie et à qui je veux rendre hommage. 
A l'intérieur de la ville, la magnifique rade de Tarente. 
Je me disais que j'allais passer par Tarente. L'idée de rejoindre la ville au cœur de  la voûte plantaire ne me disait pas plus que ça, mais Tarente est quand même une ville qui a donné son nom à un golfe, baigné par la mer ionienne, cette mer qui fleure déjà la Grèce, la grande Grèce, un peu comme la Sicile. Et puis Tarente a aussi donné son nom à une araignée, la tarentule, qui a elle-même donné à une danse, la tarentelle, et à son cortège de légendes. 
Le cœur de la ville porte des traces de son histoire. Mais il faut les chercher bien longtemps, trop longtemps pour un vélo. Tarente porte aussi la marque de son développement économique. Elle a été classée comme la ville la plus polluée d'Europe. Je me souviens que ce fut le cas de Rouen, lorsque j'étais enfant. Triste reconnaissance. Voilà sans doute pourquoi Silvana, l'épouse d'Alfredo, me recommandait Metaponte. 
Elle pensait que le site me plairait. Le nom ne me disait rien. Je
La mer au large du golfe de Tarente
 pensais que c'était juste une commune avec de belles plages. Mais après tout, dans le golfe de Tarente, il n'y a que ça des belles plages. En fait, de Gallipoli à Crotone, il n'y a qu'un littoral splendide. Partout, la mer, la Ionienne, dont on ne se lasse pas. 
Gallipoli ... je me suis dit en route, Gallipoli, Taranto, Metaponte (qui est un site antique, plus qu'une plage), Crotone, Sybaris, autant de lieux qui ont marqué l'Histoire ou notre vocabulaire, ... Autant de colonies grecques, de la Grèce toute proche, Athènes étant à quelques brasses... Je repensais à la citation de Platon que j'avais lu dans un livre sur l'histoire de la Sicile et qui comparais les Grecs en Méditerranée aux grenouilles sur le bord d'un étang... s'installant où bon leur semblait. C'est là que j'ai eu un flash. Les Pouilles, la Calabre, la Sicile, que je n'avais jusqu'à présent considérés que comme le pied de la botte et son ballon de football, étaient pour les grecs une suite de lieux d'implantations, de ports, de sites maritimes et tout le contraire du bout de la terre. Pour les Grecs, en recherche de terres, il ne s'agissait que créer des colonies, au delà de la mer. Jamais ces cités n'étaient considérées comme la fin d'une longue route, mais le début de la terre. 
Ainsi, après avoir vainement cherché à Tarente un paysage apte me faire rêver à son histoire, ai-je repris la route jusqu'au soir et à Metaponte. 
J'y parvins vers le soir. Les campings assez loin de la ville nouvelle, un peu après les vestiges des civilisations qui se sont appropriées la ville. Je n'avais pas l'intention de mettre aux enchères les lieux d'accueil. J'ai posé ma tente dès que j'ai pu. Le propriétaire m'a annoncé que devant ma démarche qui le faisait rêver, il m'accorderait une réduction royale. Je m'en tirais pour dix euros la nuit. 




mercredi 24 août 2016

Les bulles de Viola

Je ne le cacherai pas : ça fait du bien de faire une pause de temps en temps. C'est bien pour ça que je comptais sur Alfredo pour me remettre les idées en place.à force de pédaler sans arrêt, on ne sait plus où l'on habite et avec Alfredo je suis toujours chez moi. Bref, c'est un ami. 
Alfredo, l'été, fait comme beaucoup d'italiens du sud, surtout s'ils ne bossent plus. C'est à dire qu'il va vivre dans sa campagne, une deuxième maison avec un jardin, située à proximité de la sienne, qu'il aménage au fil des ans. Dans cette maison, il y a des eucalyptus, des citronniers, des oliviers, un potager et des cigales. On est pas loin de la mer, pas loin de la ville et l'on profite au mieux du climat exceptionnel des Pouilles. 
Quand Alfredo est en forme, il dit que c'est une sorte de Paradis. Je le voyais avec Viola qui ne se lassait pas des bulles de savon qui voletaient autour d'elle. Alfredo lui disait : " tu vois, Viola, quand les bulles vont de ce côté-ci, de l'est vers l'ouest, le vent amène la fraîcheur, c'est la tramontane. Quand il souffle de l'autre côté, c'est le sirocco, et on a trop chaud." 
Visite incontournable chez le barbier. Là-bas, un
diplôme cycliste me clignait de l’œil, en haut à
gauche du miroir
L'enfant, inattentive aux propos de son professeur de grand'père baignait dans son insouciance. Et plus elle était dans ses bulles, et plus j'étais fasciné. Ainsi le spectacle me rappelait  qu'on était dans un autre monde, sur la terre du sirocco, du vent chaud, des citronniers, des eucalyptus et des cigales bien loin de la Normandie et de son climat délicieux. Moi, j'étais là, en plein milieu. Ce n'est sans doute pas le Paradis, mais Alfredo a raison, ça y ressemble et je me demande comment j'avais pu y venir en vélo.
Il ne s'agissait pas de m'installer à demeure. Même si j'avais décidé d'une pause , dès le début j'avais mon départ en tête. Je ne devais rien perdre de la douceur du repos et des Pouilles. J'ai pu finir le magnifique ouvrage de Paolo Rumiz sur la voie Appienne, acheté à Florence et terminé à San Vito, que j'ai pu remettre à Alfredo, dans cette idée que j'avais eu au cours du chemin pour ne pas trop m'encombrer : prendre un livre, le lire et l'échanger sitôt qu'il est fini. Le cyclo camping interdit le stockage. 
Ciao Alfredo, a presto
Je n'ai pas fait que cela au cours de l'arrêt. Visite chez le barbier, un moment toujours très fort. Pas question que j'aille en Italie sans profiter au moins une fois de ce rare plaisir. Me laissant aller pendant que la lame me caressait la glotte, je regardais en face de moi un petit vélo me faisait de l’œil en haut à gauche du miroir. Le barbier m'a expliqué que c'était son fils, et pas lui qui avait eu ce trophée décoratif. 
Mais en dehors des plaisirs de la plage et du climat, surtout, je me suis baigné dans l'atmosphère du pays, et les couleurs nuancées de cette terre qui me faisaient invariablement penser à une chanson d'Herbert Pagani qui a bercé ma génération. La terre rouge orange, avec toutes les couleurs qui vont du rouge à l'orange et même au delà, les couleurs argiles qui s'effacent ou resplendissent, et qui laissent s'épanouir les oliviers. Tout cela ce sont les Pouilles où je me suis baigné quelques jours avant de partir, salué par Alfredo, sa chère Silvana et ses deux petites filles. 











mardi 23 août 2016

Pour le bonjour d'Alfredo

San Vito, n'est pas encore la Sicile, mais c'est déjà une étape majeure du périple. Non seulement parce que c'est une ville jumelée avec Louviers, non seulement parce que parce que j'ai toute une histoire personnelle avec ce jumelage, dont j'ai été à l'origine de la création, mais surtout parce que c'était l'occasion de rejoindre mon ami Alfredo, que j'ai justement connu lors des échanges qui ont eu lieu entre nos deux communes. 
Il n'y a pas de difficulté majeure entre Margherita di Savoia et San Vito dei Normanni. On longe la mer jusqu'à Bari, ville de 300.000 habitants, dans une agglomération deux fois plus peuplée. Heureusement, je l'ai passé un dimanche, ce qui m'a permis d'y circuler sans trop d'encombres. J'avais juste à m'y trouver une place un peu aménagée du centre-ville pour y faire un pique-nique et une petite sieste sous la chaleur pesante du midi. 
Les trulli sont une spécialité locale. Les
Pouilles en ont fait leur marque de fabrique.
 Ici un exemple loin des sites touristiques 
Je trouvai un site minéralisé, agrémenté de cette présence militaire, qu'on retrouve autour de tous les bâtiments publics d'Europe. Cela n'est pas un obstacle pour une sieste méridienne pratiquée par de nombreux adeptes, moi qui avais peur de passer pour un hurluberlu à m'allonger sur un banc. En fait, visiblement, pour beaucoup, il n'y a rien de mieux à faire que de se trouver une place à l'ombre en attendant que la chaleur s'apaise un peu. 
Plus tard,  les plages au sud de la ville marquent le début du littoral que j'aurai à longer pendant une cinquantaine de kilomètres. 
La plage de Polignano
Le parcours permet aussi, la plupart du temps, d'éviter la quatre-voies lorsqu'on quitte le bords de mer.  C'est l'occasion de redécouvrir les fameux trulli, histoire de se dire qu'on est bien dans les Pouilles. Je ne quitterai vraiment le littoral qu'un peu après Monopoli, cette cité au nom universel, qui suit Polignano, que j'ai traversé en fête, avec sa drôle de plage en forme de pince, insérée au cœur de la roche. 
Torre Canne indique la présence d'une de ces tours présentes sur le littoral adriatique et qui ont été initiées par les Normands, comme système de défense sur cette côte qui a subi de si nombreuses offensives au cours des siècles. C'est là que je quitte les vues maritimes, sous une chaleur encore présente. La route s'élève, mais je me sens presque arrivé. Ostuni, cité magnifique, s'annonce sur les hauteurs, dans sa blancheur de chaux. Ce sera ma dernière étape. 
L'invraisemblable selfie
Le temps que je profite d'une pause café pour faire le plein d'eau et que je téléphone à Alfredo qui m'annonce m'attendre pour le repas. Tu n'en as plus pour longtemps, me dit-il, la route pour San Vito est toute en descente. 
Une petite pause pour un selfie plein d'émotion à l'entrée de San Vito et je file vers la campagne d'Alfredo, où il m'attend avec son épouse Silvana et sa petite fille Viola. 
J'ai beau avoir tout fait pour en arriver là, je suis comme dans un rêve. Je n'en reviens pas ...





lundi 22 août 2016

D'une mer, l'autre ...

Approche pédagogique de la Méditerrannée.
Dommage, la mer Ionienne y est absente.
L'avantage avec l'Italie, cette langue de terre qui s'avance au cœur de la Méditerranée, c'est qu'on peut changer de mer comme de chemise. Ceci est bien sûr moins vrai au Nord qu'au Sud, et c'est vrai aussi que le passage de la Tyrrhénienne à l'Adriatique m'a pris même deux jours en coupant de Gaeta à Margherita di Savoia en passant par Benevento, mais on avouera que c'est quand même plus court que de passer de la  Méditerranée à l'Atlantique. En voiture, cela ne prend que quelques heures. Et, bien sûr, si l'on va su Sud, on passe dans les Pouilles de l'Adriatique  à la Ionienne, et même depuis la Ionienne jusqu'à la Tyrrhénienne, tout cela le même jour. 
Bien sûr, on me dira que c'est trop facile, tout ça, c'est des déclinaisons de la même mer, la Méditerranée. Sans doute. Je disais ça avant et j'avais raison Mais en fait, qu'on se mette à la place des Italiens, quand vous vous avancez comme ça au milieu de la mer, il faut bien appeler les côtes d'une manière différente, sinon, on ne s'y retrouve plus. Admettons-donc qu'il y a bien trois mers différentes qui enserrent l'Italie, ajoutons même la Méditerranée, qui, en tant que telle, longe le sud de la Sicile.Quand même ! Dire qu'il n'y a pas de Méditerranée en Italie, ce serait abuser. La Méditerranée, il n'y a que ça en Italie !
N'empêche, d'une mer l'autre, d'une rive l'autre, je quittais Benevento dans l'idée de retrouver l'Adriatique, que je n'avais pas vue depuis si longtemps. 
Bien entendu, même si l'abord de Benevento se fait après quelques ascensions, je me doutais que la descente qui aborde la ville n'allait pas continuer jusqu'au rivage. 
En fait, j'avais arrêté ma course la veille à 19 h, conformément à une nouvelle décision, celle de ne pas me retrouver de nuit à chercher un hébergement, dans une région inconnue. Mon objectif aurait pu être de rejoindre Paduli, quelques kilomètres après Benevento, et qui était signalé comme point d'hébergement sur la Francigena. J'y avais renoncé un peu échaudé par mes mauvaises expériences précédentes et la perspectives de me retrouver perdu en pleine campagne ou pleine montagne ne me tentait pas plus que cela. 
Je mesurai le lendemain à quel point j'avais été sage. On quitte Benevento par un boulevard circulaire très inquiétant pour un maigre vélo, et encore plus pour une bicyclette chargée. Enfin, grâce à la carte routière, on se trouve heureux à sortir par la route qui mène entre autre à Paduli. De jour, j'ai repéré aisément le signalement de l'agriturismo, de la fattoria Paduli. Ce n'était pas à 10 mais à 15 km de la ville, après une montée difficile, que je franchissais sur le coup de midi. Pas de regret donc. La route montait toujours. Je profitais de la présence d'un café pour faire le plein de mes gourdes et m'informer malicieusement sur le nombre de kilomètres de montée qu'il me restait à effectuer. J'avais noter que le prochain village portait le nom sympathique de buon albergo, bonne auberge ... et j'étais sur qu'il marquait la fin de la montée et le début d'une descente vertigineuse vers la plaine. 
Pas du tout me dit la serveuse. Ca continue de monter après. J'étais au moins prévenu. 
Pendant le pique nique, j'ai regardé passer un petit groupe de cyclistes du dimanche. Je les ai rattrapé un peu plus loin, profitant d'une légère descente, et entamant une sympathique conversation. Je les laissai filer après une nouvelle pause. 
Sauf qu'à l'occasion d'une dernière montée assez sévère, je finit par doubler l'un d'entre eux, voyant d'ailleurs mon principal interlocuteur aller le soutenir. J'en tirai une certaine satisfaction. Après tout, si j'arrivais à déposer un cyclotouriste avec me kilos de bagages dans une côte, c'est que j'avais fait quelques progrès. Malgré tout, pas un parmi ce groupe ne me donna quelque chance d'arriver pour le soir au bord de l'Adriatique  
Vue des montagnes entre deux mers
C'est un peu plus loin, à Radogna, que nous nous retrouvâmes tous, le temps d'un au revoir. La météo n'était pas très bonne, l'orage menaçait ... Mais il menaçait ici, parce qu'on était en montagne. Au bord de la mer, à une cinquantaine de kilomètres, le soleil était assuré. 
Je n'avais plus qu'à enfourcher mon vélo et à foncer le plus possible, en espérant malgré tout arriver à un camping avant de me coucher.
J' arrivais à Cerignola à une heure encore correcte ... Sauf que ce n'était pas encore la mer, et la première plage se trouvait à Margherita di Savoia, commune qui a deux particularité. La première, celle de porter le nom d'un personnage historique, et la deuxième d'être encore la première réserve de sel marin d'Italie. Je ne sais pas pourquoi la commune maritime porte le nom de cette reine qui a tellement marqué l'Italie qu'elle a donné son nom à une pizza. Ce qui est sur c'est qu'elle n'avait pas grand chose à voir avec la récolte du sel, ni avec la commune elle-même. Le but était peut-être d'ancrer la ville dans l'histoire récente de l'Italie. Marguerite de Savoie a été reine de 1878 à 1900.
Quoiqu'il en soit, il était 19h30 et j'étais encore à 30 km du but, mais je ne me voyais pas dormir à Cerignola. 
J'ai dû battre mon record. Au loin, je voyais les montagnes de sel, et tout l'appareillage destiné à sa récolte industrielle. 
Je suis arrivé à Margherita la nuit tombée, fier de mon exploit ... vite douché par le fait qu'on m'indiqua qu'il n'y avait pas de camping, en dépit de ce qu'indiquait ma carte routière.
Heureusement, le Ranch, lieu dédié à la plage, à la danse, à la musique et, marginalement à l'accueil des campings-cars, accepta de m'héberger pour la nuit. 
J'avais bien fait de changer de mer. Le lendemain, je n'aurais plus qu'à rejoindre Alfredo à San Vito.


dimanche 21 août 2016

vous reprendrez bien un peu de mozzarella

Alors, je suis allé à Bénévent.
Dernière vue sur Sperlonga à l'heure du
petit-déjeuner
Bien sûr, la route la plus directe pour la Sicile longe la mer Tyrrhénienne. Elle suit la côte, passe par Naples, Salerne, Paestum, Velia, Palinuro, et autres paysages traversés dans mon enfance dont je garde des traces indélébiles. Elle mène par la suite au cœur de la Calabre où je ne suis passé qu'une fois, de nuit, et dont je garde un souvenir ravi de terrible tempête connu au début de l'année 1980, lorsque je vivais en Italie et que j'avais décidé de rendre visite à la famille d'un ami en Sicile. 
Les routes, la ligne de chemin de fer, suivent le même chemin. Le 
train est un lieu de socialisation reconnu en Italie, objet d'oeuvres artistiques, de chansons, et Conversations en Sicile, le roman le plus connu du grand écrivain Vittorini fait jouer à cette ligne un rôle majeur. Ici, s'y révèlent toutes les vérités. On parle dans les trains italiens. C'est d'ailleurs là que j'ai appris la langue. Vittorini, avait aussi une raison supplémentaire de rendre hommage au rail : son père était le chef de gare de Syracuse. 
Moi même, j'étais fasciné depuis toujours par cette ligne de chemin de fer, qui s'arrêtait un peu partout et qui allait vers la Sicile. J'étais sur que la chanson Bocca di Rosa, se passait sur cette ligne et que le Sant'Ilario dont il y est question en était une station imaginaire. 
J'aurais été tenté de suivre la route qui suivait la ligne, qui suivait la mer... Mais ce n'était pas ma voie. 
Ce n'est pas tellement que je tenais à tout prix suivre la via francigena, ou suivre la voie appienne, passer par Capoue, la ville des délices e tutti quanti... Mais je m'étais quand même donné comme objectif de passer voir mes amis italiens, au premier rang desquels figure Alfredo, dont j'avais fait la connaissance lors des activités du comité de jumelage Louviers/San Vito dei Normanni.
Le golfe de Gaeta, début de l'étape
Alors, j'avais tracé mon itinéraire et celui-ci passait par Bénévent, ville dont j'ignorais l'existence jusqu'à ce que Juliano, le coiffeur italien qui a marqué le début de ma vie politique à Louviers, me dise qu'il venait de Benevento, une petite ville qui, me disait-il, se trouve à côté de Naples. 
Bref, je redécouvrais l'existence de cette cité lorsque je réalisais qu'elle était la ville-étape obligée pour qui veut traverser l'Italie latéralement au sud. 
Une fois quitté, le camping, la première ville est Gaeta, cité militaro-touristique, qui borde la mer et la commune de Formia. On rejoint là le destin de Cicéron, mort sur les bords si délicieux de la mer. Je le découvre en pédalant, mais cela m'importe peu. Il fait chaud, et je me dis que tant qu'à faire, il serait bon de faire une pause pique-niquer avant qu'il ne fasse trop chaud et si possible au bord d'une plage. Ce sera le cas à Marina de Minturno, où j'aurais le plus grand mal à trouver une fontaine. 
Les bufflonnes à l'étable de Santa
Lucia, la grande laiterie de l'Italie du Sud
Je reprends la route après une petite sieste, indispensable moyen de s'adapter à la chaleur qui devient lourde. Je réalise, à voir les panneaux que l'on est dans le pays de la mozzarella. J'ai le souvenir de bufflonnes, les femelles du buffle, importées d'Amérique au début du 20e siècle et qui servent à faire le fameux fromage que l'on trouve dans toutes les pizzas. Ces bestioles paissaient tranquillement dans les champs lorsque je suis passé par là il y a plus de 40 ans. Je n'en voie pas une seule, mais un peu partout l'on annonce que l'on vend de la vraie mozzarella au lait de bufflonne. En fait je ne verrais ces bêtes que sagement rangées dans une étable dont la construction est le fait de la grande entreprise Santa Lucia. Une simple pause-photo avant de reprendre la route, la voie appienne heureusement limitée à deux voies, confortable, pas trop montante, et passant au travers d'une plaine d'une richesse inattendue, moi qui m'attendais à traverser un sud miséreux. 
Arrivée tardive à Benevento. Il faudra encore
quelques kilomètres avant de rejoindre un lit
Je traverse rapidement Capoue, malgré mon désir initial d'y prendre une photo, puis Caserte, autant de communes suburbaines qui semblent tout omettre de leur histoire. Je continue jusqu'à m'arrêter dans un dernier bar, après avoir franchi une côté difficile qui ne devrait pas se prolonger. Je me fais offrir des dragées par le patron qui vient de marier sa fille. A l'extérieur, les clients regardent mon vélo et me demandent d'où je viens. Bien sûr, ils ne connaissent pas Louviers, la Normandie ne leur dit rien, la France sans doute un peu. Tout cela leur semble loin, loin, loin. Ils me disent qu'il me reste une cinquantaine de kilomètres jusqu'à Benevento, cette ville qui s'appelait Malevento, mauvais vent, et qui a changé de nom à la suite d'une victoire.
J'y serais dans la soirée, juste le temps de trouver un hôtel, le seul qui soit signalé, et de toute façon, même sans chercher, je sais qu'au milieu des terres, je ne trouverai pas de camping. Fin de l'étape. Une pensée pour Juliano et demain sera un autre jour. 



samedi 20 août 2016

Appienne qu'elle était, la voie !

Ce n'est pas le bouquin de Paolo Rumiz, acheté à Florence, qui m'a convaincu de passer par la voie appienne. En fait, j'ai toujours été fasciné par ce nom, sans trop savoir d'où ça venait. J'y étais déjà passé à pied, lors de mon voyage interrail[1] qui m'avait permis de traverser l'Europe à 18 ans avec ma petite amie. Je crois même que c'est avant que je sache que c'est sur cette route que l'on avait crucifié Spartacus et tous ses compagnons de misère. C'était aussi avant que je lise le mépris, à moins que ce ne soit l'ennui, de Moravia, je crois plutôt que c'est l'ennui, où il est question d'un jeune homme victime de l'ennui lors même qu'il vit dans l'une des belles et riches demeures qui longent cette voie à présent dédoublée entre via appia antica et via appia nuova.
Une chose quand même. Il n'était pas question que je quitte Rome sans voir le Colosse, le Colysée que je souhaitais saluer par politesse, même si je ne voulais m'y attarder. 
Salut à toi, vieux Colysée !
Ca tombait bien, j'étais tout près. Pas loin non plus la via Appia. En m'arrêtant à une fontaine, je me fais aborder par Giuseppe, un cycliste qui se propose assez rapidement de faire le guide touristique. 
Je lui parle de ce que je connais de la Via Appia et qui me vient du bouquin de Rumiz, que je lui conseille, dont il n'a jamais entendu parler, et qui l'intéresse. Il est jeune retraité, un peu comme moi, mais bien plus jeune que moi. Il m'explique, pendant que je cherche son profil sur facebook, qu'il doit être répertorié comme policier, au ministère de la justice... 
Tiens, tiens, je me dis... bizarre, bizarre. Policier, ministère de la justice ? Il n'ont donc pas lu Montesquieu en Italie ? Ils ne connaissent pas la séparation des pouvoirs comme fondement de la démocratie ? Je ne comprends pas ...
Ce n'est qu'à force de parler qu'il m'explique que, voilà, il n'en a pas l'air sur son petit vélo, mais il était gardien de prison pendant plus de 30 ans à Regina Coeli, l'un des lieux d'incarcération les plus célèbres d'Italie, ancien couvent situé au cœur de Rome qui a notamment hébergé le procès des terroristes des brigades rouges à l'époque des années de plomb.
Giuseppe, un guide de première main
C'est un métier comme un autre, me dit-il. Il n'a pas tort dans le sens où aucun métier ne ressemble vraiment à aucun autre. Il n'est pas là pour parler de ça, de toute façon. 
Il m'emmène devant le  Mausolée de Cecilia Metella. C'est un bâtiment que l'on ne peut pas louper quand on est sur la voie appienne ... On peut se tromper comme moi pour savoir de quoi il s'agit, mais il a l'avantage d'être le premier sur la route antique. Moi qui croyait qu'il s'agissait de Sainte Cécile, mais non ! Cecilia Metella est une riche romaine qui a eu droit à un mausolée monumental, plutôt épargné par le temps et n'a rien à voir avec la Sainte Cécile qui, à quelques hectomètre, a sa place dans les catacombes. 
Selfie devant le mausolée Cecilia Metella
Je poursuis cahotant cette route pleine de fantômes. Ça cahote pas tellement à cause des esprits qui chahutent, mais bien plutôt à cause des pierres, de ces immenses pavés, que l'on retrouve à peu près dans tous les centres villes d'Italie et qui ont pour avantage de faire ralentir les voitures. Elles ont cependant pour grand inconvénient de rendre très pénible la circulation cycliste, et quasiment insupportable le passage des cyclo-campeurs dont les bagages se trouvent brinquebalés et en rajoutent sur l'inconfort. Dans ce cadre, les pauses sont les bienvenues, rythmées aussi par des averses intermittentes, malgré l'annonce du beau temps. 
arrêt bistro : allusion à Isis
Ces immenses pavés, en fait, sont encore
moins praticables sur la voie appienne que
dans les centre-ville de l'Italie. On les dirait
juste là pour le folklore et rappeler le passage
des 
chars à boeuf, façon Asterix
Nous nous quittons après une heure de parcours en commun, chacun retournant vers son destin. Moi, j'ai pour but d'aller vers le sud, direction Gaeta. Je cherche en fait une plage, où un bord de mer où je suis sûr de trouver un camping et un hébergement bon marché. J'ai pris plaisir à rouler sur la voie appienne, mais je dois dire que délaisser les pavés inconfortables m'apportent réellement de la joie. Dans mon désir de quitter la voie, je prends la route des lacs, me doutant toutefois qu'assez rapidement je serais sur des hauteurs à escalader, mais entre ça et le risque de me retrouver sur une 4 voies sans intérêt et dangereuse, mon choix et vite fait. 
Je grimpe sur une route difficile avec l'intention de m'arrête assez rapidement pour un pique-nique en profitant du retour du beau temps. À Martino, je remplis mes gourdes à côté d'une boulangerie, tout en remarquant une camionnette qui attend à proximité avec des bouteilles vides. 
Ce n'est que quelques centaines de mètres plus loin que je comprends, confortablement installé dans le petit jardin public, dont l'animation est assurée par un marcheur qui en fait le tour tout en faisant la conversation avec les passants. Pour ma part, je m'en distrais en enfournant ma pitance et buvant à ma gourde. Ici, surprise. L'eau a un goût extraordinaire, fin et original. Je comprends soudain la présence de la camionnette. L'eau du village est d'une qualité exceptionnelle. Dommage qu'à vélo je ne puisse pas la stocker. Je me console avec une petite sieste, avant de reprendre une ascension difficile et assez longue.
Le lac d'Albano, au loin Castel Gondolfo, lieu où ses situe
la Résidence des Papes
Heureusement, la récompense est là. Je vois sur les panneaux routiers Castel Gondolfo, la résidence du Pape. En fait, j'apercevrai la commune de l'autre côté du lac d'Albano, grâce à une vue large et magnifique. Pour autant, la route continue de s'élever et la chaleur s'amplifie. 
La récompense de la descente ne viendra qu'après la commune de Nemi, qui annonce l'arrivée d'un paysage radicalement différent à Velletri, lorsque rejoindrai un peu plus loin la via Appia. 
Jusqu'à Velletri, la descente est longue et d'autant plus rassurante qu'elle annonce l'arrivée sur les Marais Pontins, cette plaine de infestée de malaria, dont on dit qu'elle a été assainie et peuplée sous le fascisme. C'est une plaine riche, débarrassée des marais et moustiques, dont la capitale est significativement appelée Latina. J'y fonce tout droit, avec le vent dans le dos. Bientôt, dans moins d'une cinquantaine de kilomètres, je serais à la mer. 
Je prends un petit café sur la route. Le patron me guette du coin de l'oeil et attend que je lui annonce d'où je viens pour sortir sa réplique toute prête 
-  Un francese che fuge davanti Isis ... Un français en fuite devant Daesh !
Je prends ça comme une insulte inadaptée qui attaque mon pays autant que moi même. 
Je me vengerai en pédalant. 
Première vue maritime depuis Gênes. C'est toujours une
délivrance. Le littoral s'annonce magnifique à Terracina.
J'en ai pour une vingtaine de kilomètres. 
Effectivement, les vents me portent dans la plaine et au milieu des rangées d'arbres j'arrive assez rapidement à Terracina, entrée du littoral. La baie s'annonce magnifique, le paysage radicalement différent : à droite, la mer magnifique, à gauche, la publicité pour la mozzarella. Je me dis que je trouverai facilement un camping à Sperlonga. 
Le joli village de Sperlonga figure parmi les
plus jolis bourgs italiens, ce qui est une
référence
Mauvaise pioche. Je me perds un peu dans la ville ancienne, jolie, mais qui me pousse à une nouvelle escalade que je ne souhaite pas, et d'autant moins que rien ne dit que je trouverai un camping ... Rien. Pas d'annonce. Du coup je demande à un passant qui m'assure la proximité du camping Nord-Sud
Quel drôle de nom pour un camping. J'y arrive en freinant bruyamment après une descente rapide ... Un groupe de jeunes femmes stupéfaites en arrêtent leur débat et me fixent comme si j'étais un extra terrestre. La patronne reprend le dessus : ne me privez pas de la clientèle. 
Elle me propose pour un prix assez élevé l'une des places les plus inconfortables que j'ai jamais occupé. Une tente à placer sur du gravier. J'ai la chance d'être trop fatigué pour faire attention à ce genre de détail. Je dormirai sur du caillou. 
Qu'importe, le camping donne sur la plage et je pourrai en profiter au réveil demain matin. 

















[1] Je reparlerai plus tard de ces voyages qui permettaient, une fois payé un droit d’entrée de voyager librement à travers tous les pays de l’Europe occidentale. A l’époque, celle-ci était divisée en deux et la sphère sous influence soviétique était bien sûr interdite. N’empêche, elle a donné à toute une génération une soif d’Europe et de voyage. Il faudrait j’en suis sur renouveler ce type d’expérience, la subventionner et ce serait là une nouvelle chance pour l’Europe. Pour ma part, ce voyage vers la Sicile et l’inconnu n’aurait jamais eu lieu si je n’avais connu eu cette expérience lors que j’avais 20 ans.