mercredi 31 août 2016

Dis, papa, c'est encore loin la Sicile ?

Tais-toi et roule !

Une fois quittée Santa Severina, je me disais que je n'avais plus rien à faire en Calabre. Je voulais arriver au plus vite en Sicile, tout cela n'avait que trop duré. 
Encore, je n'étais plus sur de rien. Une fois mon vélo réparé, j'avais encore des inquiétudes. Il faisait un inquiétant bruit de frottement. C'était gênant pour un pneu. Encore plus gênant, Luigi, le réparateur en avait marre aussi de ces réparations ... Il ne voulait rien entendre. J'avais attendu 14h, qu'il revienne à l'atelier et rien à faire. Il était dans le déni le mécano. J'ai tout fait me disait-il. Sur mon insistance, il a encore scié un bout de vis qui touchait le pneu avant. C'était bien, ça frottait un peu moins, mais ça frottait toujours et je me disais : nom de Dieu, pourvu que le pneu n'expose pas avant la Sicile, qu'au moins ça n'explose pas dans ce coin désert entre Santa Severina et la mer.
Oui, Roberto, tu viens en Normandie quand
tu veux ... mais je te préviens : la Normandie
cette Normandie que j'aime, n'est pas le pays
du bon vin. 
Du coup, j'en oubliais les bons moments à Santa Severina, et les Puzelle en particulier, avec l'accueil de Roberto, le fils de la maison. 
Il était comme fasciné par mon histoire. Oui, la Normandie lui disait quelque chose. C'était le pays des huîtres et de la mer froide. Je me suis dit qu'il confondait la Normandie et la Bretagne. Vu de Calabre, ça n'a rien d'étonnant. J'ai rencontré quelques Français au Sud de la Loire qui confondaient Normandie et Vendée. C'est quand il m'a dit qu'il y avait du bon vin en Normandie que j'ai essayé de corriger son point de vue.
La Normandie, je lui ai dit, est un pays où il y a beaucoup de pommes. Il y en a autant que de citrons en Calabre. Pour les moules, oui, il y en a en Normandie. D'excellentes, même ... mais c'est un peu plus le pays des moules marinières que des plateaux d'huîtres. Quand tu iras en Normandie, Roberto, bien sûr tu pourras passer me voir, mais n'y va pas pour le vin. Il y a eu des vignes en Normandie, maintenant elles ne sont plus là que par la volonté de quelques fantaisistes. La géographie est aussi triste que le réel ... même si parfois, elle est aussi joyeuse que la réalité. Que toutes ces histoires ne t'empêchent pas de rêver.
Roberto, en son cadre professionnel. Ce
qu'on appelle l'agroturismo en Italie, et qui
permet de relier pratique agricole et tourisme
J'étais soulagé de retrouver la côte Ionienne. D'abord, j'étais à peu près sur de retrouver aisément un camping, je n'étais plus à l'intérieur des terres. Ensuite, passant de village en villégiature, d'une cité balnéaire l'autre, je voyais les boutiques des loueurs et réparateurs de bicyclettes qui me rassérénaient. Vers 19 h. je décidais de cesser de pédaler. J'avais passé Catanzaro, c'était le principal. Je savais avoir fait un sacré détour qui m'avait fait perdre 24 heures. Mais je ne voulais pas avoir perdu plus d'une journée. J'avais trop soif de Sicile, et je me disais que tous ces obstacle étaient peut-être un signe comme quoi je n'y arriverai jamais
Arrivé à Soverato, j'ai demandé à la première personne  rencontrée où se trouvait le camping. Je fus à peine surpris par la réponse péremptoire : 
- Il n'y a pas de camping à Soverato. 
Je mettais ce type de réponse sur le même plan que mes crevaisons. Une mise à l'épreuve du seigneur ou un signe du destin, selon l'humeur. 
De quoi sourire, d'autant que quelques instants plus tard, après un temps de réflexion, mon interlocuteur se ravisait. Oui, il y a un club sur la plage, il Glauco, qui accueille les campeurs. 
Il glauco, quel drôle de nom pour un camping. J'y arrivai après être passé sous un pont de chemin de fer, dans un chemin perdu, qui longeait la plage et je me disais que ça ne pouvait être que là. Je traversai une salle de restauration, et attendis qu'on s'occupe de moi. Oui, c'est vrai que le camping est mal indiqué, mais c'est normal, il est en train de mourir. L'avenir du camping, en Italie, c'est le camping car et ils en peuvent pas passer sous la ligne de chemin de fer. Du coup, je me retrouvai au cœur d'un vaste espace, avec une plage privée pour moi tout seul, ou presque. Il y avait une dizaine de personnes, moi compris répartis en 3 ou 4 campements.

Au bout j'ai cru voir la Sicile, tant
j'en avais soif. La carte me démontra
un peu plus tard que ça ne pouvait
être le cas
J'ai évoqué cette question un peu plus tard avec le chef ... C'était une sénégalaise heureuse de parler français. Elle travaillait en Calabre depuis quelques années. 
C'est tellement dur, la Calabre, cette terre magnifique, à qui il manque si peu pour être un pôle touristique majeur. Elle évoquait la situation sociale dramatique des travailleurs calabrais, payés à coup de pierre, quand ils étaient payés. Certains attendant leur salaire depuis plusieurs mois. Elle racontait, elle qui avait une situation privilégiée en tant que chef cuisinier, la façon dont les collègues pleuraient en évoquant leur situation, étant incapable de payer le loyer pour leur famille. Sans doute cela est il plus vrai qu'ailleurs dans les métiers saisonniers du tourisme. 
Il ne s'agissait pas pour elle de critiquer son employeur, qui au moins lui assurait un revenu. Hélas, le dialogue s'est achevé trop vite. Elle est partie, appelée par son travail. Je suis retourné dans ma tente d'autant plus tristounette qu'elle était au cœur d'un grand vide. 



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