dimanche 28 août 2016

La prière de Santa Severina

Surtout, je ne voulais pas m'arrêter à Santa Severina. A dire la vérité, je ne devais même pas y passer. Le nom m'amusait, à cause des Sèverine que j'ai connu, et d'une chanteuse qui a été à la mode quelques mois quand j'étais adolescent, mais je ne pensais pas qu'il y avait des canonisées qui portaient ce nom-là... et je pensais encore moins en retrouver un exemplaire en Calabre.
Je voulais d'autant moins m'y arrêter que je n'aurais jamais dû y passer. 
J'avais quitté au petit matin la maison de Vincenzo en gardant un bon souvenir de Cosenza, mais je ne voulais pas m'y installer. Le confort, c'est l'ennemi du voyageur. Cosenza est une belle ville, qui fleure bon le moyen-âge. On n'est pas dans une cité antique du bord de mer. Les grecs n'ont guère colonisé sur les hauteurs. Dans les rues de Cosenza, j'ai aussi croisé une belle statue de Chirico. Voilà qui augmentait mon plaisir d'avoir pu profiter d'une vraie maison pour moi tout seul, obligeamment prêtée par Vincenzo, avec salles de bains, cuisine, télé, confort inouï pour un cyclo campeur. 
Cosenza, rencontre au coin de la rue.
Hector et Andromaque sculpté par Chirico
Au matin, j'ai croisé Rosa, la maman de Vincenzo, qui m'a embrassé en me complimentant pour la performance de l'équipe de France. La veille, on avait éliminé l'Islande dans les 1/4 de finale de la coupe d'Europe. Oui, je n'y étais pas pour grand chose, mais, comme je dis souvent, les compliments sont toujours trop rares. Maintenant, au fond, je n'avais plus qu'un seul but : la Sicile. Je pensais y arriver en deux jours, peut-être trois... 
Je suis parti au petit matin, direction Catanzaro... et dès le petit matin, je me suis trompé de route... Je pensais que Catanzaro était la direction principale, tellement évidente qu'elle serait indiquée partout à la sortie de Cosenza. En fait, non. Le grand axe relie Cosenza à Crotone et je m'en suis rendu compte tardivement et de toute façon, je n'aime pas faire demi-tour. 
Dans l'ascension qui mène à la zone protégée de Sila, un automobiliste m'a proposé de me prendre à bord. Trop gentil, comme on dit maintenant. J'ai refusé, bien sûr. Mais cela voulait dire deux choses. La première que les Calabrais sont des gens bien sympathique, puisque ce genre de comportement, je ne l'ai jamais trouvé ailleurs, et la deuxième c'est que la côte promettait d'être longue. quand même qu'il y avait encore beaucoup de kilomètres d'ascension. Cela dit, le paysage magnifique m'a délicieusement aidé à supporter la raideur de la pente..
Dans la descente, je me suis arrêté à la recherche d'un lieu où m'allonger en l'absence d'espaces aménagés. Je me suis écroulé de sommeil avec mon casque sur la tête. Mauvaise idée. Des ouvriers qui travaillaient à l'entretien de la route et qui m'avaient repéré de loin sont venu me parler histoire de vérifier que je n'avais fait ni incident ni malaise. Ce n'était pas les meilleures conditions pour un sommeil réparateur, mais bon ...
 Une église Arménienne, bizarrerie de Santa Severina, 
Lieu d'accueil de peuples pourchassés.
J'ai repris la route assez en forme et ça descendait. J'ai rasé la commune de San Giovanni in Fiore, ville d'origine de François Spadafora, président de l'association de jumelage San Vito/Louviers. Et puis, voilà, je n'avais plus qu'une chose à faire, sortir de ce grand axe pour rejoindre la mer, sans passer par la case Crotone, la grande cité grecque, que je n'aurai pas le temps de visiter si je voulais arriver rapidement en Sicile.
Luigi, bien sûr, ne fait pas que réparer les
crevaisons de bicyclettes. Il répare tout,
encore à 70 ans. Mais sa passion, c'est
les voitures anciennes.
Je pensais frôler Santa Severina, ville que je voyais située sur les hauteurs, encore une cité construite pour protéger les populations, et attaquer l'ennemi ... et puis j'ai crevé à cinq kilomètres de la commune. Ce n'aurait pas été si grave, si une fois assurée la réparation, je n'aurais pas subi deux kilomètres plus loin une nouvelle crevaison. Alors, je me suis résolu à pousser mon biclou jusqu'au Santa Severina en espérant qu'il y ait un réparateur de vélo, et qu'il ne se trouve pas trop sur les hauteurs.
Les gens me rassurèrent : je ne pouvais pas le louper... C'était près d'un tabac ... En fait, à force de ne rien voir, au bout de deux kilomètres, on m'expliqua que c'était juste derrière moi. Il y avait des voitures, mais des vélos jusqu'au tracteur, Luigi réparait tout. 
De fait, il répara ma crevaison immédiatement, mais, quand je lui expliquais que j'avais crevé deux fois de suite, il m'expliqua qu'il ne pouvait pas me laisser repartir comme ça, que le pneu était usé ... et qu'il faudrait aller s'en procurer un à Crotone mais qu'il était trop tard et qu'en attendant, il fallait que j'aille dormir à l'auberge du coin. 
Bof, contre fortune bon cœur. J'ai profité du site qui m'a permis de découvrir un pamplemoussier. C'était la première fois que j'en voyais un. Le lendemain j'ai été voir la ville, non sans avoir été visiter les marchands de vélo de Crotone. Un épisode pénible coincé dans la voiture de Luigi qui vomissait des propos racistes en m'amenant à la grande ville distante d'une trentaine de kilomètre. Oui, Crotone c'est plus ce que c'était . Bien sûr, on ne peut le nier, me disais-je. Crotone, n'est plus la grande cité grecque qui a bercé l'Histoire, et notamment celle des jeux Olympiques avec Milonson super champion . 
En fait, non, c'était le discours nostalgique, le"c'était mieux avant" des gens qui ne supportent pas de vieillir. Il parlait juste du Crotone de sa jeunesse. Moi, je me consolais en pensant que déjà, lors du Crotone de la grande Grèce, les humains se plaignaient et regrettaient sans doute que la Crotone de l'époque ne fût pas la même de celle de quelques années avant. Je me disais : il y a une chose qui n'a jamais changé, c'est la bêtise humaine.
Le pamplemoussier des "Puzelle"
Voilà, maintenant, une fois qu'on est bloqué dans un village qu'on en connaît pas, il n'y a qu'à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Santa Severina est une bien jolie commune perchée, qui permet d'apercevoir un paysage magnifique. J'y ai été logé aux Puzelle, ce qui effectivement veut bien dire "les pucelles", du nom des collines alentours et de l'histoire du lieu qui fut un couvent et dont il reste une chapelle. C'est là que pour la première fois de ma vie, on m'a montré ce qu'était un pamplemoussier.
M'enfin, malgré tout, j'étais bien content de quitter la ville le lendemain midi. Mon escapade imprévue m'avait coûté bien cher, et j'étais heureux de retrouver le littoral et la perspective de la Sicile, que je ne perdais pas de vue. 




L'hôtel de ville astrologique de Santa Severina

Vue de la place centrale de la commune

La cité perchée, vue des Puzelle

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