vendredi 26 août 2016

Calabres

Avec la chaleur, je m'étais promis de ne pas rouler après 13h. Au delà de 35 °, il faut faire attention, même si le vélo n'est pas la pire des pratiques en cas de grande chaleur. On risque moins, après tout, si l'on se protège la tête et le corps à rouler à un peu plus de 20 kilomètres/heure que de rester tout nu sur une plage en plein soleil ... et je ne parle pas du burkini !
Avec le vélo, on se crée du vent. Beaucoup plus qu'en faisant un jogging en tous les cas. La difficulté c'est quand même que je me faisais des séances de plusieurs heures de vélo, et qu'on dépasse rarement les courses de deux heures. Ensuite, le terrain est forcément irrégulier. En fait on fait du 20 km/h, s'il n'y a pas de vent et si ça ne monte pas. Dans le cas contraire, ça peut faire des dégâts, d'autant qu'effectivement, on ne voit pas toujours venir la côte, lorsqu'on ne connait pas le chemin, et que dans l'effort, on perd en lucidité. 

Ayant à longer très longtemps le littoral, je me suis moins soucié de cela que d'éviter la grande route qui menait jusqu'en Calabre, qui était pour moi terre inconnue. J'étais bien content d'avoir une adresse à joindre à Cosenza, parce que j'allais sans doute pouvoir me défaire des vieux stéréotypes que je me faisais sur la Calabre, terre misérable, peuplée de bandits et de montagnes. 
Comme souvent, je me suis fait piéger en voulant éviter la 4 voies qui y menait. Une route bien balisée et magnifiquement entretenue m'amena à un cul de sac qui me poussa à faire demi-tour, mais la chaleur n'était pas encore au maximum. Il n'empêche que ce surcroît de route n'était pas la bienvenue, d'autant qu'elle me contraignait encore à rouler sur une trop large route ou roulaient de trop gros poids lourds pour mon vélo chargé. Je trouvais que je n'arrivais pas à me sortir des Pouilles et j'avais soif de Calabre (avis aux amateurs de contrepets)
J'eus enfin satisfaction lorsque la voie se rétrécit et fit que j'étais enfin autorisé à y rouler et je passais enfin en Calabre, réalisant que je n'avais quitté les Pouilles depuis bien longtemps. J'étais dans le Basilicate sans le savoir. 
Il était près de 13 heures. C'était l'heure de la pause à Rocca Imperiale. 
Comme beaucoup de communes italiennes, la cité historique se trouve loin de la ville neuve. C'est encore plus vrai dans les villes de mer et l'axe est-oust qui y mène a d'autant moins d'intérêt pour une pause méridienne que les bancs qui la jonchent se trouvent à l'écart des arbres qui la décorent. Pour le dire rapidement, pas un poil d'ombre dans la grande rue à 13 h. sous le soleil brûlant (les bancs étaient en fer). 
Je réussis malgré tout à me trouver un petit coin d'ombre pour un casse-croûte inconfortable et décidai que le mieux serait encore d'aller au bistro qui me tendait les bras. Ici, pensais-je, il y aurait de quoi prendre un café et remplir mes gourdes. 
Le café s'appelait Jefferson. Je ne comprenais pas bien ce que faisait cette référence à l'ancien président des Etats-Unis dans ce village calabrais. Je sentais une atmosphère particulière, tenant du blues, de l'amour des belles choses, de l'attention à l'autre. Je parlais à l'un des clients qui avait remarqué mon petit manège à la recherche d'un espace ombragé. Pendant que j'expliquai d'où je venais, on m'amenait une citronnade et je faisais la distraction du bistro qui était beaucoup plus qu'un bistro. On m'y a même proposé de me loger, de revenir, ce que je crois que je ferais un jour. 
Je quittai ce lieu magique trop rapidement. Après tout, me dis-je, je suis en route pour la Sicile, attendu dans la soirée à Cosenza, je ne peux pas m'arrêter à chaque occasion. 
Le café Jefferson, une sacrée équipe
Pourtant, quelle belle équipe ! A vrai dire, je profite du récit pour faire ce que je n'avais pas encore fait, aller sur leur page facebook qui résume la démarche de ces amateurs splendides qui ouvrent les portes de la Calabre aux amoureux de musiques et de liqueurs, de récits, de citrons, de bières, de vins et de poésie, de repas, et de produits artisanaux locaux. Ils sont bien sûr défenseur du slow food, en opposition au fast food. On est bien au delà du bistro. Ils me firent deux cadeaux avant de partir. Le premier ; une indication claire et précise de la route jusqu'à Cosenza et le second un citron magnifique, garanti sans engrais. Un vrai citron calabrais. Il y avait là dès l'entrée, de quoi écraser tout préjugé sur la Calabre. 
Champs de cactus calabrais
Le reste de la route allait confirmer cette joyeuse impression. Je poursuivais en m'amusant des annonces des stations balnéaire qui annonçaient fièrement ou malicieusement d'avoir la mer la plus bleue. Ça faisait pensait au sketch de Coluche qui s'amusait de la formule publicitaire "plus blanc que blanc". 
Mais finalement, là n'était pas le plus extraordinaire. Je passai par Sibari, la ville des Sybarites. Je ne savais pas qui étaient les Sybarites, mais le nom me disait quelque chose. Ça faisait partie de la culture grecque que je n'ai pas. En fait, à côté de Sibari, il y a la plaine de Sibari, une plaine immense, qui commence par une rizière, et qui se termine par l'exploitation de fruits qui bénéficient de l'eau, du soleil et du savoir faire des hommes. 
La riche plaine Sybarite, qui explique au regard
de l'Histoire qu'on se soit tant battu pour elle
Tout en pédalant je calculais mon heure d'arrivée probable à Cosenza... C'était bien entendu une erreur. Jamais en bicyclette on ne peut calculer le temps à parcourir en fonction du temps parcouru. On ne sait jamais ce qui peut arriver, et surtout on ne connait pas le terrain. Ainsi on peut se dire qu'on a roulé à 23 km h et qu'on a fait le plus dur et qu'on peut estimer qu'il ne reste après tout qu'une soixantaine de kilomètres à parcourir et que vu que tout a été bien jusqu'à présent, il n'y a pas de raison que ça ne dure pas.
Spezzano Albanese, un des villages dédiés,
dans son appellation même aux Albanais qui
ont fui leur terre au 15e siècle.
Hélas, c'est rarement le cas et l'on peut se dire aussi, s'il reste une soixantaine de kilomètres à faire que, si ça se passe bien, cela durera au moins trois heures, pause comprise. Or, les meilleures choses ont une fin. La plaine sybarite aussi. Et il faut bien tôt ou tard franchir les monts calabrais que se dessinent au loin. Ainsi, pour mon malheur la route obliquai à gauche ce qui signifiait forcément son élévation. Après quelques kilomètres de montée, j'abordais Spezzano Albanese, cette commune qui porte son
histoire dans son nom, comme la Piana Albanese en Sicile, terres laissées aux Albanais fuyant les invasions ottomanes... Même si la Pianura degli Albanese a connu une Histoire récente encore plus tragique avec le massacre par la mafia de manifestants le 1er mai 1947.
C'est ce à quoi je pensais pendant la montée. Et pendant que ça continuait à monter, je continuais à penser au massacre, à ces gens d'une petite ville, manifestant pacifiquement et se faisant massacrer par Salvatore Giuliano, chef mafieux et sa bande pour instituer la terreur. Il y eut 11 morts, 27 blessés, et parmi les morts, cinq enfants de moins de 18 ans dont une gamine de 8 ans. 
Jolie vue avant d'arriver à Cosenza, prise alors qu'il fait encore 
jour. La ville est encore lointaine. J'y arriverai la  nuit tombée
La route, un peu plus loin balayait ces pensées. Cosenza se trouve sur un plateau, j'y parvins bien plus tard que prévu, après tours et détours dans la cité et retour sur mes pas au Macdo, excellent lieu de rendez-vous. Vincenzo, en vacances ne m'attendait pas et avait délégué Rosa, sa maman, qui m'a amené chez lui, me permettant de profiter du confort de l'appartement, et même de suivre le lendemain, la victoire de la France sur l'Islande pendant l'Euro.









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