lundi 12 septembre 2016

POSTFACE suite et fin

Finalement, c’est vrai, je pouvais partir. La Sicile, fait complètement partie de moi. Je ne me séparerais jamais des marques qu’elle m’a laissées. Les vraies amours ne meurent jamais.
Dernier regard vers la Sicile, avec vue sur un
incendie vers Mili San Marco, où je venais de
passer une quinzaine de jours avec Sylvie.
J’ai donc pris le train, le 5 août au matin à partir de Catane pour me rendre à Milan. Même après ce que j’avais vécu, c’était une sacrée expédition. Il fallait mettre le vélo dans un sac, acheté assez cher un an avant, mais qui en fait n’était pas vraiment idoine puisqu’une large partie de son garde-boue arrière débordait. Ce n’était pas le pire. Le vélo pesait toujours 15 kilos, auxquels il fallait rajouter les 3 kilos du sac qui était censé le contenir et les bagages qu’il fallait bien amener sur le quai n°5 de la gare de Catane, vu que dans ma crainte de ne pas y arriver, j’avais préféré porter tout cela avec mes bras, et en plusieurs voyages.
Heureusement que j’avais prévu d’embarquer au point de départ de la ligne, étant donné le temps qu’il m’a fallu pour faire installer tout cela dans un compartiment où j’étais bien heureux de me retrouver seul.
Cela n’a pas duré. Dès Messine, 50 km plus loin, un couple de cinquantenaire a mesuré le peu d’espace que je leur laissais. J’ai remis le vélo à la verticale, mais même s’il tenait deux fois moins de place, ça ne laissait à personne dans le compartiment la possibilité de prendre ses aises.
Bah ! Me dis-je, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Au petit matin, à Milan, tout cela sera vite oublié…
Fascinant spectacle, comme toujours, les
wagons dans le train. Ils marquent la
continuité territoriale de l'Etat Italien, en
attendant le pont qui mettra probablement
autant de temps à être construit que
chez nous le tunnel sous la Manche
Après avoir profité des sensations inépuisables offertes par le passage de la Sicile à la Calabre, des wagons s’installant sur le ferry et d’une dernière vue sur Messine, découvrant et m’inquiétant d’un incendie semblant provenir de Mili San Marco, le village de Dino, où je venais de passer une quinzaine de jours avec Sylvie, qui m’y avait rejointe, je constatais que le train allait s’arrêter une petite heure à Villa San Giovanni. C’était le moment de se prémunir pour la nuit en achetant quelques victuailles et en prenant un dernier granita.
Je revins à temps pour reprendre ma place, mais aussitôt, le chef de train vint vers moi et me proposa de me changer de wagon afin de bénéficier d’un compartiment pour moi tout seul. Inespéré. Ainsi ai-je pu m’installer à mon aise, une fois charriées toutes mes charges. Je n’avais plus qu’à profiter de la vue exceptionnelle du littoral du coucher de soleil jusqu’à ce que  la nuit tombe sur Marina di Ascea où j’avais quelques souvenirs … Lors même qu’au petit matin le train repassait par Carrare, Gênes et toutes ces cités qui m’avaient offert bonheurs et angoisses à l’aller.
Enfin vint le moment de sortir du train à la gare de Milan. Je laissais tous les voyageurs sortir afin d’avoir tout loisir de descendre mes bagages et mon vélo avant de les remettre en bon ordre sur le quai, ce dont je n’étais pas sur d’être capable.
Eleonara et Simone, une de ces belles belles rencontres qui
rendent le retour beaucoup moins difficile.
Je n’ai pas eu le temps de succomber à ce qu’on appelle parfois les grands moments de solitude. J’aperçus un jeune homme derrière moi entamant la même démarche, avec vélo et bagages sur le dos et une jeune femme derrière lui, dans la même situation.
Eleonora et Simone étaient montés dans le train à Salerne, au moment où j’avais choisi de m’endormir. Ils proposèrent leur assistance pour remettre mon vélo en état, aide que je repoussai fièrement en ayant peur toutefois d’avoir à les solliciter une fois que je me serais emmêlé les pinceaux … mais non. J’ai réussi à sortir le vélo, remettre mon patin de frein qui était tombé au fond du sac, rechargé les bagages auxquels il fallait ajouter le sac à vélo, pesant et encombrant. J’étais ainsi dans une situation parfaite pour suivre mes amis à Milan, qu’ils me disent ce qu’il ne fallait pas manquer dans la ville, et que je profite du petit qu’ils m’ont offert dans un parc Milanais tout en échangeant sur leur voyage avant que le destin ne nous sépare. Ainsi en est-il des voyageurs lorsqu’ils se croisent.
Ils devaient reprendre le boulot le lendemain.  Simone pour une nouvelle aventure professionnelle dans une association d’aide aux réfugiés, et Eleonora dans une entreprise suisse qui chargé de la vente de matériel pour cyclotouristes.
La Piazza Fontana, à proximité du dôme, n'était
pour moi qu'une référence tragique. Le hasard
de l'errance me l'a fait rencontrer et revivre
un bout de mon histoire et de celle de l'Italie
C’est Eleonora qui m’a convaincu de passer par le Simplon pour rentrer en France, en passant par la Suisse. Le couple me conseillait aussi de suivre la piste cyclable qui menait presque jusqu’à Domodossola, et en tous les cas jusqu’au Lac Majeur, que je ne connaissais que par la chanson de Mort Schuman.
Ainsi donc, l’après midi, puis le soir, puis le petit matin, j’ai erré dans les rues de Milan, passant devant son dôme en dentelle, les galeries chic, et l’architecture moderne de la cité et puis les lieux historiques, culturels et tragiques. Découverte du château des Sforza et du parc du Simplon, du nom du col que j’aurais à escalader le surlendemain. Pas possible de ne pas être ému devant le panneau devant le Piccolo Teatro qui a pris place là où les détentions arbitraires et tortures étaient organisées sous le fascisme.
Pas possible non plus de passer piazza Fontana sans trouble. Je me souviens juste de l’attentat commis en 1969, lorsque je m’éveillais à la vie politique. En fait, je dois reconnaître que ce n’est pas à l’attentat que je m’étais intéressé, mais à ses suites. L’attentat a été le point de départ des années de plomb, qui ont marqué la vie politique italienne, avec lien entre extrême-droite et services secrets italiens. Ainsi, un vieil anarchiste, accusé à tort de l’attentat avait-il été défenestré pendant un interrogatoire. L’attentat avait 16 morts et 88 blessés.
Découverte inattendue à proximité de
Malpensa, surtout connue pour être l'aéroport
de Milan. L'intérieur de la petite église est
couvert de fresques magnifiques.
Le lendemain, je me suis donc dirigé vers le Simplon que j’espérais franchir dans la foulée. Mauvais calcul, comme souvent. J’ai eu les yeux plus gros que les cuisses. Je me suis arrêté à Domodossola, dernière étape italienne, où j’ai connu une dernière galère en voulant sortir d’une quatre voies. Je me suis retrouvé cette fois dans un petit chemin, avec deux gués à franchir pour aller de l’autre côté de la rivière. N’importe ! Auparavant, j’avais eu le bonheur de longer le Lac Majeur et la grandeur de ses paysages.  Avant encore, peu après Milan, j’avais abordé des paysages qui préparaient à la Suisse, longeant le Tessin déversé par le lac Majeur, et qui longe de si belles propriétés. J’ai eu aussi l’occasion de me reposer dans une magnifique chapelle, couverte de fresque bien que ne payant pas de mine à l’extérieur.

Le surlendemain a amené une rupture définitive. Contrairement à ce que m’avait laissé espérer Eleonora, j’ai eu bien des difficultés à franchir le Simplon. J’étais bienheureux de pouvoir profiter de mon petit plateau et de mon grand pignon, de nouveau en état de marche, grâce au « presidente »,  le copain de Dino, marchand de vélo à Messine, qui a résolu mon problème en raccourcissant ma chaîne et en m’assurant que mon vélo allait très bien.
Dernier épisode de cyclo-cross. Le raccourci
pour Domodossola, au pied du Simplon m'a
imposé de passer deux gués avant d'atteindre
une piste cyclable digne de ce nom
La découverte du Lac Majeur. La Suisse est
bout, mais elle est déjà là.
Bref, j’ai fini par franchir le Simplon, quitter l’Italie, entrer en Suisse, continuer à grimper, et d’autant plus que la pente s’accroît au fur et à mesure, jusqu’à ce qu’enfin je connaisse la bascule et me laisse aller à friser les 70 km /h, sur des virages parfaitement dessinés. Quelle bizarrerie quand même de quitter l’Italie, cette terre où je respirais depuis près de deux mois. Certes, le vélo me rendait cela un peu moins triste. Je passai aussi par la Suisse allemande, ce qui me faisait une transition acceptable. Je ne voulais pas me retrouver tout de suite en France, dans une situation de normalité. Bien sûr, une fois la descente terminée, je n’avais plus qu’à foncer, direction Martigny, une ville dont j’avais pu apprécier lors de sorties grenobloises, la fondation Granada, qui accueillait des œuvres prestigieuses. Tel n’était pas mon but. Je n’avais qu’à rouler, ce qui m’était d’autant moins facilité en voisinant de grands axes que je ne pouvais bientôt éviter qu’en passant par de petits raidillons auxquels je ne trouvais d’autant moins de charme que j’étais cuit et que j’avais eu ma dose d’ascension quelques heures avant avec le Simplon.  
Ce n'est pas le col du Simplon qui fait la
frontière, mais le passage de celle-ci est
toujours un évènement. Addio Italia !
Comme il me fallait une pause, je me suis arrêté dès que j’ai pu. J’ai vu une indication pour un camping Robinson, dans une commune sans charme du nom de Granges. Je me suis retrouvé dans un bistro, avec un accueil mitigé, où l’on m’a annoncé que le lieu ne faisait plus camping depuis 5 ans. Les clients insistèrent pour qu’on me laisse dormir sur un coin de pelouse qu’un employé zélé me fit payer 25 euros au petit matin. Il était temps que cela se termine.
De fait, le lendemain, je rejoignais enfin la France, en abordant le lac Léman et je m’étais fixé pour but de rejoindre au plus vite Lyon, la ville où réside la famille de mon fils Grégoire et de son épouse Laure avec  Karine et Auriane, leurs deux petites filles
Le col du Simplon et la neige qui l'environne
C’était une belle et dernière étape. Je n’étais pas encore rentré, mais pas loin. Lorsqu’au petit matin j’ai quitté le lac Léman, je n’avais pas perdu mes capacités d’émerveillement devant ces sensations qu’offre la bicyclette en solitaire.  Je suis arrivé à Lyon à un peu plus de minuit, après une étape d’un peu plus de 220 kilomètres, dans une ville éteinte par l’été, grisé encore par le parcours nocturne. C’était beau, mais c’était fini. Comme une suite inéluctable de ce que j’avais ressenti depuis la Sicile où je savais que, puisque j’y étais arrivé, je n’avais plus qu’une chose à faire : rentrer, quelle que soit la manière dont je m’y prenne.
A Lyon, je n’avais plus qu’une étape : prendre le train de 7h16 à la Part Dieu où l’on arrive après avoir traversé la ville d’autant plus endormie que c’est le matin du 15 août. C’est un train que j’aime parce qu’il est lent et qu’il accepte les vélos. On met 5 heures pour arriver à Paris, un luxe que les autres trains n’offrent plus. Les wagons y ont un espace aménagé pour suspendre les bicyclettes à un crochet qui permet de les contempler une dernière fois. On est loin du TGV.
C’était la fin du voyage, la fin de l’errance. Il ne me reste plus à présent qu’à trouver de nouveaux sujets de découvertes et d’incertitudes. De replonger dans l’aventure du quotidien, après avoir connu le quotidien de l’aventure.













POST FACE n°2

L’Etna domine l’île qui domine la Méditerranée. On l’aperçoit des monts Peloritains, même si je n’ai rien vu lorsque j'y étais juché, jour de la fameuse procession de la Madonna Dinnamare. De Syracuse, on le voit encore, lorsqu’il fait beau.
L'Etna domine toute la Sicile,en particulier son littoral oriental
Quelle misère que les chemins qui y mènent aient leur entrée
marquée par des monticules d'ordures qui attendent. 
J’avais choisi de rouler jusqu’à Syracuse en sortant au petit matin de la Timpa, chargé de mes bagages et devant aborder une pente que j’estimais à 8 % sur une route étroite, fréquentée et sans échappatoire. J’avais des difficultés techniques. Il y avait, au-delà des crevaisons, l’impossibilité de m’appuyer sur un petit développement. Ma chaîne sautait à chaque fois que j’étais sur le tout petit plateau et même le grand pignon à l’arrière m’était interdit. Pour tout dire, je me sentais incapable de franchir la côte dans ces conditions.
J’ai tenté le coup quand même et j’ai eu raison. J'ai vécu le kilomètre d’ascension comme un miracle, m’élevant au-delà de mes craintes. Heureusement, parce qu’elle marquait le début d’une journée difficile. La route continuait par la traversée de Catane, deuxième ville d'Italie, noircie encore des éruptions du Vésuve, et je me suis perdu dans ses boulevards avant d'avoir du mal à trouver la sortie. Ne sachant plus où j’en étais, j’ai demandé ma route à trois hommes qui discutaient devant un garage,
-«  Tu n’as pas le droit d’aller par là, me dit le garagiste menaçant, tu vas te retrouver sur l’autoroute. Se ti vedono, ti arrestano. »  
Heureusement, ses compagnons, à coté, avaient une attitude un peu plus positive, l’un me conseillant un chemin un peu compliqué, et l’autre m’orientant vers une plus légère transgression, le tout dans un désir de me rendre service.
Ainsi, voulant éviter l’autoroute, je me suis retrouvé sur une petite route qui portait juste l’indication « Bicocca », un nom qui me semblait sympathique jusqu’à ce que je me rende compte qu’il était interdit d’aller plus loin si l’on ne faisait pas partie du personnel ou des personnes autorisées. En fait, la bicocca, c’est juste le nom de la prison de Catane, et je me disais en faisant demi-tour, que, sans doute, avec la mafia, les prisons faisaient l’objet d’une protection toute particulière en Sicile. Je pense que c'est dû à la mafia.
!Après tours et détours, je finis par me retrouver sur la grande route qui mène vers Syracuse en longeant la côte orientale. Je me suis vite interdit l’accès à la côte, non seulement parce que je voulais avancer mais surtout parce que tous les chemins qui y menaient étaient bordés de murets d’ordures qui attendaient d’être ramassés.
De toute façon, il faut éviter le littoral à proximité d’Augusta, dont le nom majestueux, cache un important port pétrolier. On passe pas loin de Lentini et de Carlentini, où je n’ai que de mauvais souvenirs, mais le pire m’attendait un peu plus loin, lors même que je me disais que j’arriverais assez tôt pour me choisir un hébergement correspondant à ma volonté de faire une pause de quelques jours. La crevaison survint sur la quatre-voies qui longe l’autoroute à vingt kilomètres de Syracuse.
-         Ah mais, ah mais, comme dit la chanson, ça n’en finira donc jamais !
Au bout du bout, il capo Passero et son île, la dernière sur la
Ionienne. Si on tourne le dos, on voit la Méditrerranée et on
est à deux pas de l'île des Courants.
Pendant que je m’acharnais à garder mon calme en refaisant les gestes trop familiers, je sentis une présence à mes côtés.
Mais on n’a pas toujours affaire aux anges de la route. Il s’agissait en fait d’une voiture de l’Anas, chargée de l’entretien et de la sécurité des grandes voies. Ils n’étaient là que pour m’encourager à partir, et aucune aide ne me fut proposée, pas même celle consistant à me transporter jusqu’à la prochaine sortie que je finis par prendre une fois la réparation opérée. Heureusement, la sortie donnait sur Syracuse et sa banlieue nord. Le premier panneau commercial aperçu indiquait la présence d’un décathlon vers lequel je m’orientais plein d’espoir.
Après deux heures d’attente, je réussis à chopper un réparateur qui heureusement s’intéressa à mon sort. Je refis le film de la totalité de mes crevaisons, ce qui prit un certain temps, mais le réparateur après vérification de la roue, ne lui trouvait aucun défaut. Ce n’est qu’après avoir sorti une chambre à air que j’avais conservé, et lui avoir montré les petites pustules qui se fixaient à l’intérieur, à quelques centimètres de la valve, que nous finîmes par trouver la solution que je cherchais depuis Barcelone. En fait, à la suite d’une erreur d’orientation, ma roue avant était entrée dans un cercle métallique destiné à accueillir un arbre. Le choc avait d’ailleurs provoqué une crevaison … mais pas seulement. En fait, ce sont les rayons qui étaient sorti de leur enveloppe, avaient traversé la jante et mal fixés, provoquaient crevaison sur crevaison à la suite de l’incident. L’espace de quelques secondes, le génie mécanique resserra les rayons me délivrant à jamais de ce problème qui me minait le moral depuis près de 4.000 kilomètres

L'ami Giuseppe, qui venait partager une bière à la
fin de sa journée de travail. Il fournissait olives 
et citrons.

Peu m’importait après tout cela que je ne trouve pas de camping à Syracuse. Là encore, j’ai dû rouler de nuit. Après avoir été trimbalé de lieu en lieu, j’abordais enfin il Paradiso al mare, le Paradis sur la mer. Une appellation un peu  excessive, mais peu importe. J’étais là sur un site idéal qui m’a permis de visiter en touriste la façade sud-est de l’île, que je ne connaissais pas en alternant avec quelques sauts à Syracuse, qui est toujours à redécouvrir.
Un dolmen, à proximité d'Avola donne une  
idée de la richesse archéologique du site.
Tant de civilisations ont pris place sur l'île.

Avola est la terre des amandes. Il n’y a pas que des citrons en Sicile. Même si à Avola, il y a des citrons … J’ai expliqué à Giuseppe, employé au camping avec qui j’avais sympathisé, que dans mon pays il y avait autant de pommes que de citrons chez eux. Lui, il me parlait de la Sicile, et des Siciliens, me disant qu'il se comprenaient d'Avola à Syracuse, mais que ce n'était pas la même langue, ni même vocabulaire, ni grammaire. 
La  Cassabile, au creux du canyon. Eau douce,
 cascades, plages, piscines   naturelles,
dans un cadre exceptionnel ouvert et bon 
enfant. Prévoir quand même une petite heure 
de marche à l'aller comme au retour.
Comme je lui parlais de la beauté d’un cours d’eau à proximité de Syracuse, et que je ne me souvenais plus du nom de l’Anapo et du Ciane, il m'a fait découvrir les carrières du Cassibile. Le Cassabile se trouve au fond d'un canyon où l’on descend après une randonnée d’une petite heure et où l’on nage dans la douceur de l’eau provenant tout droit des cascades. Le paysage apporte un bonheur doux et rafraîchissant.
Première vue sur Raguse dont les deux parties
de la ville sont séparées par une faille. A mon
avis la plus belle des cités baroques de Sicile.
Mais ce n’est pas tout. Une fois installé à Avola, j’ai voulu aller au bout de l’île, tenté comme tout le monde par les finisterres. Je voulais voir  l’Isola delle Correnti,  l’île des courants, dont Mateta m’avait parlé. Je voulais les cités baroques, Noto, Modica (la ville du chocolat qui résiste à la chaleur) et surtout Raguse qui présente au-delà de la particularité baroque de la reconstruction espagnole après le tremblement de terre qui a rasé la région d’être à cheval sur deux collines, Raguse l’antique et Raguse la moderne. 
Oui, on peut dire et penser ce qu'on veut des
petits trains touristiques, mais pour une
première approche de la ville après 60 km de
vélo et la perspective d'en faire autant pour 
le retour, ça n'a pas que des inconvénients.
Raguse où je me suis tapé le luxe de m’asseoir dans un petit train touristique après une étape harassante sous le soleil.
Mais il y avait, il y a toujours Syracuse. Au-delà de la douceur de sa sonorité, dont a abusé Henri Salvador, j’avais quelque chose à y chercher. Ne serait-ce que l’oreille de Denys … Le lieu se trouve au cœur des latomies, carrières de pierres impressionnantes où l’on faisait travailler les esclaves.  On dit que le tyran Denys y enfermait ses ennemis politiques et écoutait tous leurs secrets.
La grande oreille de Denys
Juste une grotte, creusée par les esclaves
 travaillant dans les carrières de pierre. 
Le Caravage a inventé, à partir de sa forme et
de sa sonorité exceptionnelle la légende de
  l'Oreille de Denys, tyran grec qui en aurait
 profiter pour espionner ses prisonniers.
C’est une légende, imaginée par Caravage, lui-même évadé de prisons et fasciné par le lieu en forme d’oreille. À côté, il y a un amphithéâtre grec, qui porte sur une vue maritime. C’est toujours comme ça avec les grecs : le paysage faisait partie du théâtre. Les romains, quand ils ont pris la cité, ont fait à côté leur théâtre, histoire d’y faire des arènes où l’on allait voir les combats. Deux approches radicalement différentes du spectacle.
Nathalie et Frédéric, en visite à Syracuse. Ils
m'ont accompagné dans la visite aventureuse
 du Ciane et de l'Anapo. Un beau moment
Il y a aussi, aux alentours de Syracuse, la source du Ciane, l’un des plus petits fleuves du monde, rejointe par l’Anapo, rivière qui n’est pas beaucoup moins longue et le rejoint, qui a ceci de particulier qu’elle est bordée de papyrus et qu’un chemin de randonnée l’accompagne jusqu’à son embouchure qui donne sur la baie de Syracuse et offre une vision sur Ortigia, presqu’île et centre historique de la ville.
Les théâtres grecs offrent toujours des
perspectives splendides comme à Syracuse
où il s'ouvre sur l'infini maritime. Le paysage
est un élément du décor, lui même élément du
spectacle. 
Le chemin mal balisé m’a donné l’occasion de faire connaissance avec un couple de français, Frédéric et Nathalie. J’ai échangé ma connaissance de l’italien et de l’Histoire de la Sicile contre le savoir botanique de Frédéric, paysagiste qui a sa petite entreprise dans le nord de la France. Grâce à l’acharnement de Nathalie, nous avons retrouvé le chemin censé suivre le cours d’eau. Après la traversée d’un paysage noirci par un incendie récent, nous avons finalement rejoint un bateau prêt à nous accueillir et nous faire traverser une partie de la zone protégée, entre couleuvres, faucons, papyrus et eucalyptus … Il en faudrait peu, se dit-on pour faire de la Sicile une zone touristique inégalable. Un ramassage des ordures organisé et systématique, un balisage mieux assuré et surtout une mise en cohérence d’une politique d’accueil. Ah oui ! Les siciliens sont fiers. 
Mausolée de Sainte-Lucie, avec mon vélo qui surveille l'entrée
Tant qu’à être dans les légendes, Syracuse est aussi marqué par le culte de Sainte Lucie, qui a irrigué l’Europe entière.
Mais je cherchais aussi autre chose à Syracuse. Une de mes histoires anciennes y avait commencé à la gare, une petite gare pour une grande ville, qui se trouve toutefois à l’écart des axes ferroviaires. Mais la gare de Syracuse est aussi celle de Sebastiano Vittorini, chef de gare et littérateur. Ça m’a amusé de voir que  Vittorini, dont le bouquin le plus célèbre se passe pour grande partie dans un train, soit le fils d’un chef de gare. Bien avant le vélo, c’est par le train que j’ai découvert l'Italie, bien avant le vélo. Dans les trains italiens les gens se parlent. C’est même là que j’ai appris la langue.
Gare de Syracuse, la plaque rend hommage
 à l'écrivain Elio Vittorini et à son père. 
 En quelques mots elle replace sa vie et  son 
oeuvre dans un contexte familial et ferroviaire

Peut-être je n’aurai pas dû aller à la gare de Syracuse. Mais en fin de compte, bien sûr, si j’ai été jusqu’en Sicile, c’est pour me trouver moi-même. Les trains m’ont toujours parlé. Cette ligne de chemin de fer, celle où se déroule la conversation en Sicile, va du Nord vers le Sud et traverse toute la péninsule. Elle est une part intégrante de l’Italie, elle est son unité, qu’elle a eu tant de mal à construire et qui justifie à elle seule que les trains qui vont de Palerme ou de Catane jusqu’à Milan ou Turin, prennent le bateau pour permettre aux voyageurs de rejoindre le continent sans descendre de wagon.
Sans doute c’est à la gare que j’ai pris conscience que mon voyage était terminé. Je commençais à être confondu avec un touriste quelconque. Je ne savais plus où aller. Je quittais le statut de voyageur pour celui de vagabond, et c’était finalement difficile. Sans doute j’étais perdu dans une Sicile trop grande pour moi.

La villa du Tellaro. J'ai cherché vainement 

dans le dictionnaire ce qu'était un Tellaro  
avant de me rendre compte que ce n'était 
que le nom de la rivière qui la longeait.

 La villa est à l'image de celle de Piazza 
Armerina, aussi belle, mais plus petite 

et moins aménagée pour le tourisme. 
Elle est un vestige des derniers moments 

de la suprématie romaine en Sicile.
Dans une ultime pérégrination, je me suis rendu à Vulcano, une visite qui me semblait impérative. Je suis passé par la pointe nord de l’île, celle à partir de laquelle on voit Scylla, de l’autre côté de la mer Ionienne, avant de passer sur la Tyrrhénienne tout en longeant les marais porteurs de moules et d’huîtres… à deux pas des espadons, et des poissons fantastiques qu’on retrouve sur le marché de Messine.
Vulcano, on la retrouve après trois quart d’heure de bateau qui permettent d’apercevoir les îles Lipari, Salina et Stromboli surmonté à jamais d’une volute de fumée. Dès la sortie du bateau, on est dans une atmosphère soufrée, qui vous accompagne pendant une centaine de mètres. On va se prendre un bain dans une piscine soufrée, naturelle, qui a l’époque était libre d’accès et qui maintenant coûte 3 euros. Le jeu consiste à s’y recouvrir de boue. On vous conseille de ne pas y rester plus de 10 minutes. Les yeux m’en ont piqué quelques jours pour avoir dépassé la dose prescrite mais surtout, pendant plusieurs semaines, mon corps, mes vêtements ont été imprégnés de l’odeur du soufre. Le soufre que l’on voit colorier les roches de diverses teintes du jaune à l’orange et surtout, une fois sorti de la piscine destinée au bain de boue, si l’on se plonge dans une mer pétillante, trop chaude sans doute pour qu’un corps humain y reste trop longtemps et où persiste la présence volcanique. Vulcano, qui a donné son nom au Dieu et aux volcans.
Et si c'était seulement ça le but du voyage :
prendre un bain de soufre et revivre la
fascination que j'avais vécu à 14 ans
lors d'une excursion familiale ? 
J’étais pris par le paysage et je me disais que c’était ça, au fond, la vraie cause de mon voyage en Sicile. Elle était là, dans l’atmosphère sulfurique que j’avais eu la chance de croiser lors d’une expédition lorsque j’avais 14 ans. C’était quelque chose de si prégnant que je n’avais pu m’en défaire et qui était si forte que je la portais en moi sans m’en apercevoir. Je comparais cette sensation à celle de la madeleine de Proust.
Le soufre fait aussi lourdement partie de l’histoire de l’île. Son exploitation a été terrible au 19e siècle et a largement participé à l’essor industriel de l’Europe au détriment de la santé de ceux qui travaillaient dans les mines et en particulier les enfants.


C’était donc ça. Je pouvais toujours délirer sur l’Histoire, les civilisations, les légendes, les pratiques, les géographies siciliennes, mais fondamentalement, ce que je portais en moi, c’était ce soufre à ciel ouvert auquel j’avais été confronté pour la première fois de mon existence et qui là aussi fait tragiquement partie de l’Histoire de la Sicile.













POSTFACE n°1

Début de la pente qui mène à la Timpa. Le
panneau interdit aux deux-roues de rouler
 en présence de sable volcanique.
La Timpa se trouve à mi-pente. Quand je m’y suis rendu, c’était au bout de ma première  étape entièrement sicilienne. Après la montée de Giarra que le soleil rendait interminable, je ne pensais qu’à me reposer, faire un point, il fallait que je retrouver pourquoi j’avais été en Sicile. Alors, j’ai pris cette route qui descendait et qui indiquait un camping en me disant que, forcément ça allait me mener au bord de la mer.
La Timpa se trouve à mi-pente. La route mène à Santa Maria della Scala. En arrivant au camping, j’ai voulu me rassurer :
-         Si on continue la route, on va vers Catane … ? J’ai demandé.
-         Non, non. La route s’arrête au village en bas. Pour aller vers Catane, il faut faire demi-tour.
J’ai appris bien plus tard que la Timpa avait un sens. Dans l’Italie du sud, la Timpa est une pente rocheuse, en Sicile est particulièrement sur les flancs de l’Etna, la Timpa signifie une pente qui descend directement et brutalement dans l’eau, laissant parfois la place à des lieux de vie en impasse.

Je voulais aller à Catane aussi pour voir Martino, le frère de Mateta qui devait me parler de sa Sicile. En attendant, je me retrouvais dans ce camping, à flanc d’Etna, qui contenait la plus petite plage que j’aie jamais rencontrée, et qu’on ne pouvait rejoindre que par ascenseur. C’est un paysage façonné par l’Etna dont les hommes se sont accommodés avec talent. Sur cette route aussi il y a des panneaux  qui interdisent aux deux roues de rouler en cas de pluie de cendres volcaniques. On est dans un autre monde.
Vue de Santa Marie della Scala, port situé
dans une impasse au pied d'Acireale
Martino a voulu me résumer la Sicile. Il m’a appâté par la bouche et j’ai mordu. On ne prend pas de cappuccino en Sicile, au petit déjeuner. Au mieux ça fait italien, au pire ça fait touriste, en tout cas, ça ne fait pas sicilien. Les siciliens ont inventé la glace. Plus exactement, ce sont les arabes qui l’ont inventé, sur les pentes de l’Etna. Ils ont découvert que la glace qu’on trouve là haut, se conservait avec un peu de sel, et que ça pouvait être utile là où il faisait chaud. Ils ont trouvé le moyen de la transporter et de l’exploiter. Quelques siècles plus tard, avec l’électricité, les siciliens, puis les italiens sont devenus les champions européens de la glace. Il y a des glaciers partout en Italie. Mais c’est en Sicile qu’on petit déjeune le matin avec un granita et une brioche, ailleurs, c’est juste espresso brioche, ce qui laisse un français normal sur sa faim. J’ai vu Martino deux petites heures dans mon existence. Seulement, ça suffit parfois pour rendre les gens inoubliables. Il m’a parlé de l’Anapo, de la moto et moi, j’étais là à l’écouter béatement en dégustant un granita à la pêche qui me replongeait dans toute l’histoire gastronomique de la Sicile et de l’Italie. Je savais que sorbet était un nom d’origine arabe, mais je n’en savais pas plus. J’avais tellement de choses à découvrir.
Il m’a aussi expliqué que le chocolat qu’on fabrique à Modica ne fond pas. Il vient de l’occupation espagnole qui ont transmis à Modica la passion du chocolat qu’ils venaient de découvrir en Amérique. C’était le moment où les espagnols étaient maîtres du monde. Ils étaient si riches qu’ils ont  ils pu reconstruire toutes les villes atteintes par les tremblements de terre au 18e siècle, ce qui leur donne leur style baroque. 
La plus petite plage du monde ? Peut-être. Seul 
l'ascenseur permet d'y accéder. Elle est entourée
de falaises crées par le déversement de la lave de 
l'Etna, deversée dans la mer il y a des siècles.
.
Martino continuait à me parler, et je me disais que je l’avais déjà vu quelque part. C’était pourtant impossible que je l’aie déjà rencontré, et a priori il ne ressemble pas à sa sœur que je connais un peu. Ce retraité de fraîche date, jovial, motard et barbu, je l’avais déjà rencontré quelque part. J’en étais sûr. Ce n’est qu’après que j’ai trouvé, quand il m’a laissé au camping de la Timpa.  Martino, c’est le père Noël. J’en suis à peu près sûr. J’ai peut être confondu, mais il lui ressemble vraiment.
Devant rester quelques jours à la Timpa, je me suis donné le temps de lire. On ne lit pas beaucoup en vélo. Les étapes sont trop longues et quand on arrive, on doit s’occuper de soi, de monter la tente ou de parler à ceux qui nous font grâce d’un hébergement.
Je me suis donc plongé dans la lecture des Malavoglia, de Giovanni Verga, un classique de la littérature italienne, injustement inconnu en France, qui raconte l’histoire de pêcheurs qui perdent tout avant de se perdre. L’histoire se passe précisément dans le coin où je séjournais, dans ces petits ports coupés de tout, où la survie était difficile et vous mettait à la merci de la moindre difficulté.
Terre de rapine, je ne sais si le livre a été
traduit en Français, mais c'est une enquête
passionnante et une écriture intéressante
En fait, sans que je l’aie vraiment voulu, mes lectures m’ont porté sur les lieux que je traversais. Ainsi, Les Malavoglia, autour d’Acireale, le livre de Paolo Rumiz sur la voie Appienne et plus tard  « Terra di rapina », terre de rapine, de la journaliste italienne Giuliana Saladino qui, refait l’histoire sociale et politique de l’après-guerre en Sicile, à partir d’un fait divers qui s’est produit dans le Nord de l’Italie. Un jeune homme se fait lyncher par la foule après un hold-up foiré à Turin. Et c’est son histoire, et celle de sa jeunesse, dans un village Sicilien près d’Agrigente qu’elle raconte à l’aide de témoignages, et qui permet de comprendre les espoirs et les échecs de l’histoire de la Sicile de l’après-guerre. Ainsi comprend on mieux en creux l’histoire de la porte des Genets, où Salvatore Giuliano a organisé et commis le massacre d’une manifestation à Piana degli Albanesi, village situé sur un plateau à vingt kilomètres de Palerme.
J’aurais bien été à Piana degli Albanesi. Pas seulement parce que l’histoire de cet attentat m’obsède, à l’image de toute la Sicile. On comprend d’autant moins les horreurs quand elles sont des contresens historiques. Ainsi en est-il des attentats djihadistes.
Passage nécessaire sur l'Etna avec un guide.
C'est un peu cher, mais comme souvent, si
la visite se passe sans guide, on ne comprend
pas grand chose.

Même l’histoire de cette commune est curieuse, jusqu’à son nom … Puisqu’avant de s’appeler la plaine des albanais, elle s’appelait Piana dei Greci, plaine des grecs. Un peu comme San Vito dei Normanni s’est appelé San Vito degli Schiavi,  Saint Guy des Slavons, attention, pas Saint Guy des Esclaves, comme une homonymie tendrait à le faire croire.. Mais je suppose qu’au fond cette homonymie  a joué son rôle dans le  changement de nom de la cité. Il n’empêche, avec tous ces gens qui s’envahissent les uns les autres, pas facile de s’y retrouver quelques siècles plus tard. Pour ce qui est de Piana degli Albanesi, en tous les cas, même si elle fût grecque, la commune est porteuse de toute l’histoire et du folklore de la communauté albanaise, du moins à ce que j’en sais par oui dire
J’aurais bien été à Piana degli Albanesi, comme dans tant d’autres points de la Sicile. En fait, j’étais un peu venu pour ça... Tous ces kilomètres, ce n’était pas pour me morfondre sur place.  Je voulais voir les îles, de l’île. Lampedusa, d’abord, lieu d’échouage des réfugiés qui viennent du sud de la Méditerranée, ou même encore de plus loin, et qui ont survécu alors que 10.000 d’entre eux se sont noyés. Ensuite, voilà, les Lipari, Stromboli, Ustica, l’île d
es femmes …
Dino et moi, le jour de la procession, photo Maurizio
Mais je  ne savais plus pourquoi j’étais là. J’étais là parce que j’avais voulu partir. J’étais là parce que je voulais voyager. J’étais en Sicile parce que cette terre me fascinait.
Une fois en Sicile, en plein été, rien ne me distinguait  vraiment d’un touriste banal. L’arrivée au but faisait que je n’étais plus un voyageur, même si je m’y étais rêvé pour l’éternité.
Il y a tellement de choses à faire que l’on est rapidement débordé. Je me voyais là, face à mes projets, comme les sont les  siciliens devant les dépôts d’ordure qui ornent leurs plus beaux paysages.
Ce sont des Dieux, disait Lampedusa à propos des siciliens. Ce n’était pas admiratif de sa part, mais il était fasciné par l’histoire de ce peuple, de ces peuples qui n’ont cessé d’être envahis, mais que les envahisseurs eux-mêmes ont voulu porter vers l’universel, offre que les siciliens ont à chaque fois rejeté. Ce sont des Dieux. Ainsi en est il du tri sélectif, comme il le fut de la réforme agraire après guerre, comme de tout ce qui enlise la Sicile dans son destin. Ainsi, si les siciliens se laissent envahir, s’ils n’ont jamais revendiqué sérieusement leur indépendance, c’est par fierté.
La seule révolte qui a embrasé toute l’île remonte au XIIIe siècle, et était dirigée contre les Français. C’étaient les Vêpres siciliennes.
Dans la maison de Dino, présence inévitable
d'une représentation religieuse.
Si Lampedusa n’a pas complètement raison, il ne peut pas avoir tout à fait tort. On ne prend pas comme ça toute la place du génie sicilien, occupée par Pirandello, Verga, Vittorini, Le Caravage sans que cela recouvre une réalité.  
Ce sont des dieux, les Siciliens et j’étais intimidé sur cette terre où les Dieux sont partout.
L’Etna, Vulcano, bien sûr, le soufre, la mer, les mers, les courants et les vents … même si le christianisme a réussi à s’y implanter 3 siècles après tout le monde.
Saint Guy, Sainte Agathe, Sainte Lucie, et des Vierges comme s’il en pleuvait accompagnent la bigoterie sicilienne. A Catane, la spécialité de la ville est une pâtisserie en forme de petit nichon. Sainte Agathe qui se les était fait arracher selon la légende. Fêtée le 5 février, Sainte Agathe a pris la place d’une fête romaine de la fertilité. Sainte Lucie est syracusaine et Saint Guy est mort à 13 ans d’avoir voulu évangéliser l’île.
On trouve des traces de bigoterie un peu partout en Sicile, des petites niches dans les maisons, des processions, comme celle qui de la Madonna di Dinnamare, Madonne des deux mers en Sicilien.
Image de la procession au petit matin du 4 août
La procession est aussi le moyen de faire une jolie promenade sur les monts Péloritains histoire de profiter au petit matin d’une vue imprenable sur les deux mers, la Calabre d’un côté et de l’autre  Milazzo, la Tyrrhénienne et au bout les Eoliennes, Stromboli, Vulcano. J’y ai été amené par Dino, qui m’a fait lever à deux heures du matin, histoire de rejoindre un peu plus loin les pèlerins qui venaient de Messine, accompagnant une image sainte, certains, certaines, peu nombreux marchant pieds nus. La plupart étaient venu en voiture, en moto, en vélo, et même à cheval.
Dino et son collègue Maurizio à la
procession de Madonna di Dinnamare
Arrivé sur les hauteurs, je n’ai pas vu grand chose. Un nuage brouillait le panorama. Je me suis distrait des dévotions, mais la messe m’a interminable. Elle était  heureusement agrémentée par les hurlements des chalands qui parvenaient jusqu’à nous et tâchaient de profiter au mieux de la foule pour revendre granitas, amendes, noisettes et autres friandises. Le curé dans son homélie  se lançait dans une explication sur la différence entre pèlerin et vagabond, comme quoi, il ne faut pas mélanger torchon et serviette. Cela me rappelait Santa Severina, et Luigi qui en voulait tant aux vagabonds. Ces fascinants vagabonds. Vagabond, qui reste l’un des plus beaux mots de la langue française.
Quand tout cela fut terminé, il y eut la descente vers Messine. C’était un moment important puisque depuis 15 jours je louais le logement  qu’il avait aménagé. Dino, je l’ai rencontré dès que je suis arrivé en Sicile. Il m’a tout de suite proposé de m’héberger gratuitement  en me montrant sa carte professionnelle, pour que je n’aie pas peur de son invitation. Il est policier, maresciallo, ce que je traduirais par commissaire.
File de pèlerins au petit matin à quelques
centaines de mètres du sommet


Dino a des amis partout. C’est une belle personne, comme on dit. Il a des amis bergers, chez qui nous sommes passés lors de la descente. Ce sont des amis qui vivent avec bêtes et chiens, sur les pentes. Il a aussi un ami collègue, Maurizio, qui l’accompagnait à la procession, et dont j’avais remarqué qu’il prenait la religion au sérieux.
- « Ah ! s’extasia Maurizio en voyant les bergers,  C’est que vous êtes un parfait exemple que l’on peut s’épanouir dans la vie en dehors de l’école et des conventions, simplement en vivant dans la nature au milieu des bêtes… »
- « Mais pas du tout ! dit le berger, moi, je voulais aller à l’école. J’ai été obligé d’aller bosser dès l’âge de douze ans, mais ce que j’aime, c’est la poésie et la musique, et je ne pourrais jamais vivre de ce que j’aime. »
Costantino et son instrument, avec Carlo et son tambourin
Costantino écrit des chansons, des poèmes et fabrique des instruments de musique. Son copain Carlo l’accompagne avec talent au tambourin.  A vrai dire, avant de l’entendre, j’ignorais qu’on pouvait tirer tant de choses de cet instrument. J’étais charmé, bien qu’incapable de juger de la qualité des poèmes en sicilien. Je basais juste sur la qualité de la relation et de la force des personnages qui défendaient la création et la beauté comme joie de vivre. Cela, à lui seul, valait le déplacement.
Dino au flûteau, fabrication garantie
du berger Costantino




















jeudi 1 septembre 2016

L'autre côté de l'eau

Il n'y avait plus qu'à suivre le littoral ... Après, de toute façon, on finira bien par trouver les indications qui permettront de franchir la mer pour aller en Sicile. 
La Sicile, je la voyais partout. Je fonçais sur la grand route et je n'avais plus peur de rien. Tellement confiant, que j'ai mis un certain temps à comprendre que je m'étais encore trompé de route. Comment pouvais-je me trouver le dos à la mer en prenant la route qui la longeait ? Une femme se trouvait  là à qui je demandais des explications. 
Après m'avoir expliqué qu'elle attendait quelqu'un, qu'elle n'avait pas le permis, que c'était son anniversaire et qu'on allait lui fêter ses quarante ans, elle était incapable de me dire quelle était la route pour aller à la mer ... qui, je le rappelle est partout en Calabre. Sa bonne volonté rendait sa bêtise encore plus désarmante. Je la quittais en lui souhaitant un bon anniversaire. 
Je pris la première à gauche, manière d'éviter de faire demi-tour. Ce petit crochet me fit faire une dizaine de kilomètres supplémentaires dont 5 de montée assez raide, avant une descente vertigineuse vers Marina di Davoli. Ce serait la dernière fois.
L'étape à vrai dire fut assez courte. J'avais pour ambition de dormir une dernière fois sur le continent pour ne pas arriver en Sicile à une heure impossible ... mais je voulais la voir, être sûr ... après m'être rendu compte que ce que je prenais pour une vue lointaine de l'île était en fait des hautes collines calabraises.
 À Galati, changement de cap, précisément après le Capo spartivento. Je roulais alors vers l'Ouest, de plus en plus. Et voilà, il n'y avait plus d'ambiguïté : cette fois, c'est sûr, au bout, là-bas, c'est la Sicile, c'est sans doute l'Etna derrière cette couche nuageuse. 
C'est ce qui me fut confirmé dans le dernier camping avant la Sicile. Un camping qui n'en était pas un mais une plage aménagée où l'on me permit de poser ma tente sur le sable. 
- Pourquoi aller en Sicile, me dit le patron. Elle est là, au bout de la plage... Vous y êtes déjà.
- À ce compte-là, me dis-je, j'y suis depuis longtemps. J'ai la Sicile en moi depuis Louviers. "
Au petit matin, je suis parti le corps léger, le regard fixé sur l'île, de l'autre côté de l'eau, comme on disait dans la vieille Normandie, pour parler de ceux de l'autre rive de la Seine qui séparait hauts et bas Normands.
J'y étais déjà. Alors tout me paraissait trop long, et en particulier la traversée de Reggio di Calabria, dont j'étais persuadé qu'elle était le lieu d'embarquement. Tu parles ! ce serait trop facile ... C'est à Villa San Giovanni que tout se passe. Et là encore, j'y parvins entre tours et détours, tout bêtement aussi parce que je voulais éviter la grand route, que j'aurais voulu passer par les plages, mais que celles-ci n'étaient que cul-de-sac. 
Alors, je dois dire, après le panneau, après que j'aie demandé où était l'embarquement, après qu'on m'ait indiqué où on prenait les billets, tout s'est passé comme dans un rêve. 
Une seule remarque, une seule : 
- Vous êtes français ? C'est bien. Ce soir, vous allez voir, vous allez gagner. Deux à zéro contre l'Allemagne. J'ai parié avec les copains"
Pour le reste, une fois payés les 3 euros pour l'embarquement du vélo, on me fit ce que je pris pour un couloir d'honneur. Je passai en toute quiétude devant camions, camping cars, voitures... le tout dans une descente régulière et je me retrouvai sans avoir le temps de m'y préparer dans la cale du traghetto.
Oui,, ça peut faire rigoler, mais forcément, je
garde le billet fétiche, comme le ticket de métro
dans le salaire de la peur. Une manière de me
dire que tout cela, tout ce que j'ai vécu a bien
existé... 
À peine le temps de l'attacher, d'aller à l'air frais, le traghetto démarrait déjà, me permettant de me retrouver entre Calabre et Sicile, entre Charybde et Scylla ... pour parler comme dans le temps. Or, j'étais en dehors du temps, et le temps, je l'avais à peine. Ainsi, je ne verrai peut-être jamais la commune de Scilla, la cité calabraise qui tire son nom de la légende ... mais surtout j'avais à peine le temps de profiter du bonheur et de prendre les photos. C'est très court de traverser le détroit. Déjà il fallait descendre.

J'étais à Messine. J'étais en Sicile. Tout semblait normal à tout le monde autour de moi. 
Pour me remettre de mes émotions, sans doute fallait-il faire comme tout le monde, faire comme d'habitude. Je poussai mon vélo jusqu'à un square, histoire de grignoter et de m'allonger pour faire une petite sieste ... 
Bien sûr, impossible de dormir. C'était trop dingue. Je le répète. Je me le répète : je suis en Sicile. 
Alors quoi, il peut m'arriver n'importe quoi. J'ai fait au moins 5.500 kilomètres, je suis  passé par-ci, par là, je dois encore trouver à me loger, éventuellement chercher à une villégiature pour accueillir Sylvie qui doit me rejoindre dans une quinzaine de jours pour une quinzaine de jours, mais tout cela est tellement secondaire. Je suis en Sicile. Je me revois partir de la maison, ma première étape à Vernon... Je suis en Sicile.
Je me lève du banc, je pousse mon vélo et je sens le regard de Giovanni.
Giovanni est un retraité. Il me paye un café, raconte mon histoire aux clients du bistro. Il m'indique aussi le centre d'information touristique en me disant qu'il risque d'être fermé. 
Ben non ! Tout m'est ouvert. Je dirai même le reste de la route. 
Adieu Calabre, et merci pour tout
ce que tu m'as donné
Me disant qu'il me faut joindre Syracuse, et en passant, joindre Catane, et en particulier Acireale, où je dois rencontrer des proches de Mateta, ma catanaise préférée, qui nous a donné des cours d'italien dans le cadre du jumelage. Mais je n'ai aucune urgence. Aucune pression. Je suis de l'autre côté de l'eau, à l'autre bout du monde.
Je me suis rendu sur la grande place de la cathédrale de Messine, cette cité qui porte à jamais la trace du tremblement de terre de 1908 qui l'a complètement rasé, ce qui ne l'empêche pas, avec ses 250.000 habitants, d'être la troisième ville de Sicile. Puis, j'ai quitté la ville, prenant une autre route littorale, celle qui permet de voir la terre que je venais de quitter. Au moment où je me disais qu'il faudrait quand même que je me trouve un lieu d'hébergement, j'ai rencontré croisé un cycliste qui après m'avoir demandé ce que je cherchais, me propose de suite un hébergement. C'est Dino, maresciallo, qui, de peur que je ne lui fasse pas confiance, me montre sa carte professionnelle. Il me fait revenir en arrière, me signale la présence du Papa de Vicenzo Nibali, le héros local, appelé le Requin de Messine, et qui participe au Tour de France qu'il a gagné il n'y a pas si longtemps que ça... Incroyable journée, incroyable accueil.
Inespéré !à peine arrivé en Sicile que déjà l'on
m'offre un café. Bienvenu, me dit Giovanni
Voilà. Je n'en dirai pas plus sur la Sicile, et ceci est mon dernier post ou presque. 
Demain, un autre jour peut-être, je laisserai une postface pour parler de tout. Je le jure, je parlerai aussi des crevaisons, et de la solution du problème qui me fut offerte à Syracuse. Mais forcément, le lecteur, la lectrice, les lecteurs me comprendront, une fois parvenu en Sicile, l'histoire se termine. Et lorsqu'une histoire se termine, c'est une autre qui commence.
Lieu d'accueil puis de villégiature, proposé
par Dino. J'en reparlerai bientôt, en postface
et sur facebook. Vue sur la mer et petite
commune si vivante à deux pas de Messine.
Merci à tous, merci à ceux qui m'ont aidé, merci à ceux qui m'ont encouragé, parfois d'un simple geste, d'un regard, merci au monde, merci à la France, merci à l'Espagne, merci à l'Italie et merci même à la Principauté de Monaco que j'ai croisé en coup de vent. Merci à ceux qui se sont penché sur mes misères de cycliste. Merci aux vents, merci aux mers, merci à la terre et au ciel. Les frissons me gagnent mes amis, à chaque fois que je pense à vous. 
Merci et à bientôt.