jeudi 1 septembre 2016

L'autre côté de l'eau

Il n'y avait plus qu'à suivre le littoral ... Après, de toute façon, on finira bien par trouver les indications qui permettront de franchir la mer pour aller en Sicile. 
La Sicile, je la voyais partout. Je fonçais sur la grand route et je n'avais plus peur de rien. Tellement confiant, que j'ai mis un certain temps à comprendre que je m'étais encore trompé de route. Comment pouvais-je me trouver le dos à la mer en prenant la route qui la longeait ? Une femme se trouvait  là à qui je demandais des explications. 
Après m'avoir expliqué qu'elle attendait quelqu'un, qu'elle n'avait pas le permis, que c'était son anniversaire et qu'on allait lui fêter ses quarante ans, elle était incapable de me dire quelle était la route pour aller à la mer ... qui, je le rappelle est partout en Calabre. Sa bonne volonté rendait sa bêtise encore plus désarmante. Je la quittais en lui souhaitant un bon anniversaire. 
Je pris la première à gauche, manière d'éviter de faire demi-tour. Ce petit crochet me fit faire une dizaine de kilomètres supplémentaires dont 5 de montée assez raide, avant une descente vertigineuse vers Marina di Davoli. Ce serait la dernière fois.
L'étape à vrai dire fut assez courte. J'avais pour ambition de dormir une dernière fois sur le continent pour ne pas arriver en Sicile à une heure impossible ... mais je voulais la voir, être sûr ... après m'être rendu compte que ce que je prenais pour une vue lointaine de l'île était en fait des hautes collines calabraises.
 À Galati, changement de cap, précisément après le Capo spartivento. Je roulais alors vers l'Ouest, de plus en plus. Et voilà, il n'y avait plus d'ambiguïté : cette fois, c'est sûr, au bout, là-bas, c'est la Sicile, c'est sans doute l'Etna derrière cette couche nuageuse. 
C'est ce qui me fut confirmé dans le dernier camping avant la Sicile. Un camping qui n'en était pas un mais une plage aménagée où l'on me permit de poser ma tente sur le sable. 
- Pourquoi aller en Sicile, me dit le patron. Elle est là, au bout de la plage... Vous y êtes déjà.
- À ce compte-là, me dis-je, j'y suis depuis longtemps. J'ai la Sicile en moi depuis Louviers. "
Au petit matin, je suis parti le corps léger, le regard fixé sur l'île, de l'autre côté de l'eau, comme on disait dans la vieille Normandie, pour parler de ceux de l'autre rive de la Seine qui séparait hauts et bas Normands.
J'y étais déjà. Alors tout me paraissait trop long, et en particulier la traversée de Reggio di Calabria, dont j'étais persuadé qu'elle était le lieu d'embarquement. Tu parles ! ce serait trop facile ... C'est à Villa San Giovanni que tout se passe. Et là encore, j'y parvins entre tours et détours, tout bêtement aussi parce que je voulais éviter la grand route, que j'aurais voulu passer par les plages, mais que celles-ci n'étaient que cul-de-sac. 
Alors, je dois dire, après le panneau, après que j'aie demandé où était l'embarquement, après qu'on m'ait indiqué où on prenait les billets, tout s'est passé comme dans un rêve. 
Une seule remarque, une seule : 
- Vous êtes français ? C'est bien. Ce soir, vous allez voir, vous allez gagner. Deux à zéro contre l'Allemagne. J'ai parié avec les copains"
Pour le reste, une fois payés les 3 euros pour l'embarquement du vélo, on me fit ce que je pris pour un couloir d'honneur. Je passai en toute quiétude devant camions, camping cars, voitures... le tout dans une descente régulière et je me retrouvai sans avoir le temps de m'y préparer dans la cale du traghetto.
Oui,, ça peut faire rigoler, mais forcément, je
garde le billet fétiche, comme le ticket de métro
dans le salaire de la peur. Une manière de me
dire que tout cela, tout ce que j'ai vécu a bien
existé... 
À peine le temps de l'attacher, d'aller à l'air frais, le traghetto démarrait déjà, me permettant de me retrouver entre Calabre et Sicile, entre Charybde et Scylla ... pour parler comme dans le temps. Or, j'étais en dehors du temps, et le temps, je l'avais à peine. Ainsi, je ne verrai peut-être jamais la commune de Scilla, la cité calabraise qui tire son nom de la légende ... mais surtout j'avais à peine le temps de profiter du bonheur et de prendre les photos. C'est très court de traverser le détroit. Déjà il fallait descendre.

J'étais à Messine. J'étais en Sicile. Tout semblait normal à tout le monde autour de moi. 
Pour me remettre de mes émotions, sans doute fallait-il faire comme tout le monde, faire comme d'habitude. Je poussai mon vélo jusqu'à un square, histoire de grignoter et de m'allonger pour faire une petite sieste ... 
Bien sûr, impossible de dormir. C'était trop dingue. Je le répète. Je me le répète : je suis en Sicile. 
Alors quoi, il peut m'arriver n'importe quoi. J'ai fait au moins 5.500 kilomètres, je suis  passé par-ci, par là, je dois encore trouver à me loger, éventuellement chercher à une villégiature pour accueillir Sylvie qui doit me rejoindre dans une quinzaine de jours pour une quinzaine de jours, mais tout cela est tellement secondaire. Je suis en Sicile. Je me revois partir de la maison, ma première étape à Vernon... Je suis en Sicile.
Je me lève du banc, je pousse mon vélo et je sens le regard de Giovanni.
Giovanni est un retraité. Il me paye un café, raconte mon histoire aux clients du bistro. Il m'indique aussi le centre d'information touristique en me disant qu'il risque d'être fermé. 
Ben non ! Tout m'est ouvert. Je dirai même le reste de la route. 
Adieu Calabre, et merci pour tout
ce que tu m'as donné
Me disant qu'il me faut joindre Syracuse, et en passant, joindre Catane, et en particulier Acireale, où je dois rencontrer des proches de Mateta, ma catanaise préférée, qui nous a donné des cours d'italien dans le cadre du jumelage. Mais je n'ai aucune urgence. Aucune pression. Je suis de l'autre côté de l'eau, à l'autre bout du monde.
Je me suis rendu sur la grande place de la cathédrale de Messine, cette cité qui porte à jamais la trace du tremblement de terre de 1908 qui l'a complètement rasé, ce qui ne l'empêche pas, avec ses 250.000 habitants, d'être la troisième ville de Sicile. Puis, j'ai quitté la ville, prenant une autre route littorale, celle qui permet de voir la terre que je venais de quitter. Au moment où je me disais qu'il faudrait quand même que je me trouve un lieu d'hébergement, j'ai rencontré croisé un cycliste qui après m'avoir demandé ce que je cherchais, me propose de suite un hébergement. C'est Dino, maresciallo, qui, de peur que je ne lui fasse pas confiance, me montre sa carte professionnelle. Il me fait revenir en arrière, me signale la présence du Papa de Vicenzo Nibali, le héros local, appelé le Requin de Messine, et qui participe au Tour de France qu'il a gagné il n'y a pas si longtemps que ça... Incroyable journée, incroyable accueil.
Inespéré !à peine arrivé en Sicile que déjà l'on
m'offre un café. Bienvenu, me dit Giovanni
Voilà. Je n'en dirai pas plus sur la Sicile, et ceci est mon dernier post ou presque. 
Demain, un autre jour peut-être, je laisserai une postface pour parler de tout. Je le jure, je parlerai aussi des crevaisons, et de la solution du problème qui me fut offerte à Syracuse. Mais forcément, le lecteur, la lectrice, les lecteurs me comprendront, une fois parvenu en Sicile, l'histoire se termine. Et lorsqu'une histoire se termine, c'est une autre qui commence.
Lieu d'accueil puis de villégiature, proposé
par Dino. J'en reparlerai bientôt, en postface
et sur facebook. Vue sur la mer et petite
commune si vivante à deux pas de Messine.
Merci à tous, merci à ceux qui m'ont aidé, merci à ceux qui m'ont encouragé, parfois d'un simple geste, d'un regard, merci au monde, merci à la France, merci à l'Espagne, merci à l'Italie et merci même à la Principauté de Monaco que j'ai croisé en coup de vent. Merci à ceux qui se sont penché sur mes misères de cycliste. Merci aux vents, merci aux mers, merci à la terre et au ciel. Les frissons me gagnent mes amis, à chaque fois que je pense à vous. 
Merci et à bientôt. 







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