lundi 12 septembre 2016

POSTFACE suite et fin

Finalement, c’est vrai, je pouvais partir. La Sicile, fait complètement partie de moi. Je ne me séparerais jamais des marques qu’elle m’a laissées. Les vraies amours ne meurent jamais.
Dernier regard vers la Sicile, avec vue sur un
incendie vers Mili San Marco, où je venais de
passer une quinzaine de jours avec Sylvie.
J’ai donc pris le train, le 5 août au matin à partir de Catane pour me rendre à Milan. Même après ce que j’avais vécu, c’était une sacrée expédition. Il fallait mettre le vélo dans un sac, acheté assez cher un an avant, mais qui en fait n’était pas vraiment idoine puisqu’une large partie de son garde-boue arrière débordait. Ce n’était pas le pire. Le vélo pesait toujours 15 kilos, auxquels il fallait rajouter les 3 kilos du sac qui était censé le contenir et les bagages qu’il fallait bien amener sur le quai n°5 de la gare de Catane, vu que dans ma crainte de ne pas y arriver, j’avais préféré porter tout cela avec mes bras, et en plusieurs voyages.
Heureusement que j’avais prévu d’embarquer au point de départ de la ligne, étant donné le temps qu’il m’a fallu pour faire installer tout cela dans un compartiment où j’étais bien heureux de me retrouver seul.
Cela n’a pas duré. Dès Messine, 50 km plus loin, un couple de cinquantenaire a mesuré le peu d’espace que je leur laissais. J’ai remis le vélo à la verticale, mais même s’il tenait deux fois moins de place, ça ne laissait à personne dans le compartiment la possibilité de prendre ses aises.
Bah ! Me dis-je, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Au petit matin, à Milan, tout cela sera vite oublié…
Fascinant spectacle, comme toujours, les
wagons dans le train. Ils marquent la
continuité territoriale de l'Etat Italien, en
attendant le pont qui mettra probablement
autant de temps à être construit que
chez nous le tunnel sous la Manche
Après avoir profité des sensations inépuisables offertes par le passage de la Sicile à la Calabre, des wagons s’installant sur le ferry et d’une dernière vue sur Messine, découvrant et m’inquiétant d’un incendie semblant provenir de Mili San Marco, le village de Dino, où je venais de passer une quinzaine de jours avec Sylvie, qui m’y avait rejointe, je constatais que le train allait s’arrêter une petite heure à Villa San Giovanni. C’était le moment de se prémunir pour la nuit en achetant quelques victuailles et en prenant un dernier granita.
Je revins à temps pour reprendre ma place, mais aussitôt, le chef de train vint vers moi et me proposa de me changer de wagon afin de bénéficier d’un compartiment pour moi tout seul. Inespéré. Ainsi ai-je pu m’installer à mon aise, une fois charriées toutes mes charges. Je n’avais plus qu’à profiter de la vue exceptionnelle du littoral du coucher de soleil jusqu’à ce que  la nuit tombe sur Marina di Ascea où j’avais quelques souvenirs … Lors même qu’au petit matin le train repassait par Carrare, Gênes et toutes ces cités qui m’avaient offert bonheurs et angoisses à l’aller.
Enfin vint le moment de sortir du train à la gare de Milan. Je laissais tous les voyageurs sortir afin d’avoir tout loisir de descendre mes bagages et mon vélo avant de les remettre en bon ordre sur le quai, ce dont je n’étais pas sur d’être capable.
Eleonara et Simone, une de ces belles belles rencontres qui
rendent le retour beaucoup moins difficile.
Je n’ai pas eu le temps de succomber à ce qu’on appelle parfois les grands moments de solitude. J’aperçus un jeune homme derrière moi entamant la même démarche, avec vélo et bagages sur le dos et une jeune femme derrière lui, dans la même situation.
Eleonora et Simone étaient montés dans le train à Salerne, au moment où j’avais choisi de m’endormir. Ils proposèrent leur assistance pour remettre mon vélo en état, aide que je repoussai fièrement en ayant peur toutefois d’avoir à les solliciter une fois que je me serais emmêlé les pinceaux … mais non. J’ai réussi à sortir le vélo, remettre mon patin de frein qui était tombé au fond du sac, rechargé les bagages auxquels il fallait ajouter le sac à vélo, pesant et encombrant. J’étais ainsi dans une situation parfaite pour suivre mes amis à Milan, qu’ils me disent ce qu’il ne fallait pas manquer dans la ville, et que je profite du petit qu’ils m’ont offert dans un parc Milanais tout en échangeant sur leur voyage avant que le destin ne nous sépare. Ainsi en est-il des voyageurs lorsqu’ils se croisent.
Ils devaient reprendre le boulot le lendemain.  Simone pour une nouvelle aventure professionnelle dans une association d’aide aux réfugiés, et Eleonora dans une entreprise suisse qui chargé de la vente de matériel pour cyclotouristes.
La Piazza Fontana, à proximité du dôme, n'était
pour moi qu'une référence tragique. Le hasard
de l'errance me l'a fait rencontrer et revivre
un bout de mon histoire et de celle de l'Italie
C’est Eleonora qui m’a convaincu de passer par le Simplon pour rentrer en France, en passant par la Suisse. Le couple me conseillait aussi de suivre la piste cyclable qui menait presque jusqu’à Domodossola, et en tous les cas jusqu’au Lac Majeur, que je ne connaissais que par la chanson de Mort Schuman.
Ainsi donc, l’après midi, puis le soir, puis le petit matin, j’ai erré dans les rues de Milan, passant devant son dôme en dentelle, les galeries chic, et l’architecture moderne de la cité et puis les lieux historiques, culturels et tragiques. Découverte du château des Sforza et du parc du Simplon, du nom du col que j’aurais à escalader le surlendemain. Pas possible de ne pas être ému devant le panneau devant le Piccolo Teatro qui a pris place là où les détentions arbitraires et tortures étaient organisées sous le fascisme.
Pas possible non plus de passer piazza Fontana sans trouble. Je me souviens juste de l’attentat commis en 1969, lorsque je m’éveillais à la vie politique. En fait, je dois reconnaître que ce n’est pas à l’attentat que je m’étais intéressé, mais à ses suites. L’attentat a été le point de départ des années de plomb, qui ont marqué la vie politique italienne, avec lien entre extrême-droite et services secrets italiens. Ainsi, un vieil anarchiste, accusé à tort de l’attentat avait-il été défenestré pendant un interrogatoire. L’attentat avait 16 morts et 88 blessés.
Découverte inattendue à proximité de
Malpensa, surtout connue pour être l'aéroport
de Milan. L'intérieur de la petite église est
couvert de fresques magnifiques.
Le lendemain, je me suis donc dirigé vers le Simplon que j’espérais franchir dans la foulée. Mauvais calcul, comme souvent. J’ai eu les yeux plus gros que les cuisses. Je me suis arrêté à Domodossola, dernière étape italienne, où j’ai connu une dernière galère en voulant sortir d’une quatre voies. Je me suis retrouvé cette fois dans un petit chemin, avec deux gués à franchir pour aller de l’autre côté de la rivière. N’importe ! Auparavant, j’avais eu le bonheur de longer le Lac Majeur et la grandeur de ses paysages.  Avant encore, peu après Milan, j’avais abordé des paysages qui préparaient à la Suisse, longeant le Tessin déversé par le lac Majeur, et qui longe de si belles propriétés. J’ai eu aussi l’occasion de me reposer dans une magnifique chapelle, couverte de fresque bien que ne payant pas de mine à l’extérieur.

Le surlendemain a amené une rupture définitive. Contrairement à ce que m’avait laissé espérer Eleonora, j’ai eu bien des difficultés à franchir le Simplon. J’étais bienheureux de pouvoir profiter de mon petit plateau et de mon grand pignon, de nouveau en état de marche, grâce au « presidente »,  le copain de Dino, marchand de vélo à Messine, qui a résolu mon problème en raccourcissant ma chaîne et en m’assurant que mon vélo allait très bien.
Dernier épisode de cyclo-cross. Le raccourci
pour Domodossola, au pied du Simplon m'a
imposé de passer deux gués avant d'atteindre
une piste cyclable digne de ce nom
La découverte du Lac Majeur. La Suisse est
bout, mais elle est déjà là.
Bref, j’ai fini par franchir le Simplon, quitter l’Italie, entrer en Suisse, continuer à grimper, et d’autant plus que la pente s’accroît au fur et à mesure, jusqu’à ce qu’enfin je connaisse la bascule et me laisse aller à friser les 70 km /h, sur des virages parfaitement dessinés. Quelle bizarrerie quand même de quitter l’Italie, cette terre où je respirais depuis près de deux mois. Certes, le vélo me rendait cela un peu moins triste. Je passai aussi par la Suisse allemande, ce qui me faisait une transition acceptable. Je ne voulais pas me retrouver tout de suite en France, dans une situation de normalité. Bien sûr, une fois la descente terminée, je n’avais plus qu’à foncer, direction Martigny, une ville dont j’avais pu apprécier lors de sorties grenobloises, la fondation Granada, qui accueillait des œuvres prestigieuses. Tel n’était pas mon but. Je n’avais qu’à rouler, ce qui m’était d’autant moins facilité en voisinant de grands axes que je ne pouvais bientôt éviter qu’en passant par de petits raidillons auxquels je ne trouvais d’autant moins de charme que j’étais cuit et que j’avais eu ma dose d’ascension quelques heures avant avec le Simplon.  
Ce n'est pas le col du Simplon qui fait la
frontière, mais le passage de celle-ci est
toujours un évènement. Addio Italia !
Comme il me fallait une pause, je me suis arrêté dès que j’ai pu. J’ai vu une indication pour un camping Robinson, dans une commune sans charme du nom de Granges. Je me suis retrouvé dans un bistro, avec un accueil mitigé, où l’on m’a annoncé que le lieu ne faisait plus camping depuis 5 ans. Les clients insistèrent pour qu’on me laisse dormir sur un coin de pelouse qu’un employé zélé me fit payer 25 euros au petit matin. Il était temps que cela se termine.
De fait, le lendemain, je rejoignais enfin la France, en abordant le lac Léman et je m’étais fixé pour but de rejoindre au plus vite Lyon, la ville où réside la famille de mon fils Grégoire et de son épouse Laure avec  Karine et Auriane, leurs deux petites filles
Le col du Simplon et la neige qui l'environne
C’était une belle et dernière étape. Je n’étais pas encore rentré, mais pas loin. Lorsqu’au petit matin j’ai quitté le lac Léman, je n’avais pas perdu mes capacités d’émerveillement devant ces sensations qu’offre la bicyclette en solitaire.  Je suis arrivé à Lyon à un peu plus de minuit, après une étape d’un peu plus de 220 kilomètres, dans une ville éteinte par l’été, grisé encore par le parcours nocturne. C’était beau, mais c’était fini. Comme une suite inéluctable de ce que j’avais ressenti depuis la Sicile où je savais que, puisque j’y étais arrivé, je n’avais plus qu’une chose à faire : rentrer, quelle que soit la manière dont je m’y prenne.
A Lyon, je n’avais plus qu’une étape : prendre le train de 7h16 à la Part Dieu où l’on arrive après avoir traversé la ville d’autant plus endormie que c’est le matin du 15 août. C’est un train que j’aime parce qu’il est lent et qu’il accepte les vélos. On met 5 heures pour arriver à Paris, un luxe que les autres trains n’offrent plus. Les wagons y ont un espace aménagé pour suspendre les bicyclettes à un crochet qui permet de les contempler une dernière fois. On est loin du TGV.
C’était la fin du voyage, la fin de l’errance. Il ne me reste plus à présent qu’à trouver de nouveaux sujets de découvertes et d’incertitudes. De replonger dans l’aventure du quotidien, après avoir connu le quotidien de l’aventure.













2 commentaires:

  1. Merci pour le voyage ! C'est foisonnant, sportif, cultivé, touchant, drôle, hannibalesque, enfin tout ce qu'on aime dans un récit de voyage, quoi ! J'ai envie de repartir là maintenant tout de suite, et c'est votre faute...
    Amitiés à deux roues,
    Chantal

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    Réponses
    1. Merci beaucoup à la Sirène pour cette appréciation flatteuse. Si je peux être fautif de réveiller le goût du voyage, c'est que mon récit n'aura pas été inutile. Certaine partent vers l'Est, d'autres vers le Sud mais au fond, la route est la même et c'est, au delà de toutes les épreuves, le retour qui est le plus difficile.
      Bises

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