L'Etna domine toute la Sicile,en particulier son littoral oriental Quelle misère que les chemins qui y mènent aient leur entrée marquée par des monticules d'ordures qui attendent. |
J’avais choisi de rouler jusqu’à Syracuse en sortant au
petit matin de la Timpa ,
chargé de mes bagages et devant aborder une pente que j’estimais à 8 % sur une
route étroite, fréquentée et sans échappatoire. J’avais des difficultés
techniques. Il y avait, au-delà des crevaisons, l’impossibilité de m’appuyer
sur un petit développement. Ma chaîne sautait à chaque fois que j’étais sur le
tout petit plateau et même le grand pignon à l’arrière m’était interdit. Pour
tout dire, je me sentais incapable de franchir la côte dans ces conditions.
J’ai tenté le coup quand même et j’ai eu raison. J'ai vécu le
kilomètre d’ascension comme un miracle, m’élevant au-delà de mes craintes.
Heureusement, parce qu’elle marquait le début d’une journée difficile. La route continuait par la traversée de Catane, deuxième ville d'Italie, noircie encore des éruptions du Vésuve, et je me suis perdu dans ses boulevards avant d'avoir du mal à
trouver la sortie. Ne sachant plus où j’en étais, j’ai demandé ma route à trois
hommes qui discutaient devant un garage,
-« Tu n’as pas le droit d’aller par là, me dit le
garagiste menaçant, tu vas te retrouver sur l’autoroute. Se ti vedono,
ti arrestano. »
Heureusement, ses compagnons, à coté, avaient une attitude un
peu plus positive, l’un me conseillant un chemin un peu compliqué, et l’autre
m’orientant vers une plus légère transgression, le tout dans un désir de me
rendre service.
Ainsi, voulant éviter l’autoroute, je me suis retrouvé sur
une petite route qui portait juste l’indication « Bicocca », un nom
qui me semblait sympathique jusqu’à ce que je me rende compte qu’il était
interdit d’aller plus loin si l’on ne faisait pas partie du personnel ou des
personnes autorisées. En fait, la bicocca, c’est juste le nom de la prison de
Catane, et je me disais en faisant demi-tour, que, sans doute, avec la mafia,
les prisons faisaient l’objet d’une protection toute particulière en Sicile. Je pense que c'est dû à la mafia.
!Après tours et détours, je finis par me retrouver sur
la grande route qui mène vers Syracuse en longeant la côte orientale. Je me
suis vite interdit l’accès à la côte, non seulement parce que je voulais
avancer mais surtout parce que tous les chemins qui y menaient étaient bordés
de murets d’ordures qui attendaient d’être ramassés.
De toute façon, il faut éviter le littoral à proximité
d’Augusta, dont le nom majestueux, cache un important port pétrolier. On passe
pas loin de Lentini et de Carlentini, où je n’ai que de mauvais souvenirs, mais
le pire m’attendait un peu plus loin, lors même que je me disais que
j’arriverais assez tôt pour me choisir un hébergement correspondant à ma
volonté de faire une pause de quelques jours. La crevaison survint sur la
quatre-voies qui longe l’autoroute à vingt kilomètres de Syracuse.
-
Ah mais, ah mais, comme dit la chanson, ça n’en finira
donc jamais !
Au bout du bout, il capo Passero et son île, la dernière sur la Ionienne. Si on tourne le dos, on voit la Méditrerranée et on est à deux pas de l'île des Courants. |
Mais on n’a pas toujours affaire aux anges de la route. Il
s’agissait en fait d’une voiture de l’Anas, chargée de l’entretien et de la
sécurité des grandes voies. Ils n’étaient là que pour m’encourager à partir, et
aucune aide ne me fut proposée, pas même celle consistant à me transporter
jusqu’à la prochaine sortie que je finis par prendre une fois la réparation
opérée. Heureusement, la sortie donnait sur Syracuse et sa banlieue nord. Le
premier panneau commercial aperçu indiquait la présence d’un décathlon vers
lequel je m’orientais plein d’espoir.
Après deux heures d’attente, je réussis à chopper un
réparateur qui heureusement s’intéressa à mon sort. Je refis le film de la
totalité de mes crevaisons, ce qui prit un certain temps, mais le réparateur
après vérification de la roue, ne lui trouvait aucun défaut. Ce n’est qu’après
avoir sorti une chambre à air que j’avais conservé, et lui avoir montré les
petites pustules qui se fixaient à l’intérieur, à quelques centimètres de la
valve, que nous finîmes par trouver la solution que je cherchais depuis
Barcelone. En fait, à la suite d’une erreur d’orientation, ma roue avant était
entrée dans un cercle métallique destiné à accueillir un arbre. Le choc avait
d’ailleurs provoqué une crevaison … mais pas seulement. En fait, ce sont les
rayons qui étaient sorti de leur enveloppe, avaient traversé la jante et mal
fixés, provoquaient crevaison sur crevaison à la suite de l’incident. L’espace
de quelques secondes, le génie mécanique resserra les rayons me délivrant à jamais de ce
problème qui me minait le moral depuis près de 4.000 kilomètres .
L'ami Giuseppe, qui venait partager une bière à la
fin de sa journée de travail. Il fournissait olives
et citrons.
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Un dolmen, à proximité d'Avola donne une idée de la richesse archéologique du site. Tant de civilisations ont pris place sur l'île. |
Comme je lui parlais de la beauté d’un cours d’eau à proximité de Syracuse, et que je ne me souvenais plus du nom de l’Anapo et du Ciane, il m'a fait découvrir les carrières du Cassibile. Le Cassabile se trouve au fond d'un canyon où l’on descend après une randonnée d’une petite heure et où l’on nage dans la douceur de l’eau provenant tout droit des cascades. Le paysage apporte un bonheur doux et rafraîchissant.
Première vue sur Raguse dont les deux parties de la ville sont séparées par une faille. A mon avis la plus belle des cités baroques de Sicile. |
Raguse où je me suis tapé le luxe de m’asseoir dans un petit train touristique après une étape harassante sous le soleil.
Mais il y avait, il y a toujours Syracuse. Au-delà de la
douceur de sa sonorité, dont a abusé Henri Salvador, j’avais quelque chose à y
chercher. Ne serait-ce que l’oreille de Denys … Le lieu se trouve au cœur des
latomies, carrières de pierres impressionnantes où l’on faisait travailler les
esclaves. On dit que le tyran Denys y
enfermait ses ennemis politiques et écoutait tous leurs secrets.
C’est une légende, imaginée par Caravage, lui-même évadé de prisons et fasciné par le lieu en forme d’oreille. À côté, il y a un amphithéâtre grec, qui porte sur une vue maritime. C’est toujours comme ça avec les grecs : le paysage faisait partie du théâtre. Les romains, quand ils ont pris la cité, ont fait à côté leur théâtre, histoire d’y faire des arènes où l’on allait voir les combats. Deux approches radicalement différentes du spectacle.
C’est une légende, imaginée par Caravage, lui-même évadé de prisons et fasciné par le lieu en forme d’oreille. À côté, il y a un amphithéâtre grec, qui porte sur une vue maritime. C’est toujours comme ça avec les grecs : le paysage faisait partie du théâtre. Les romains, quand ils ont pris la cité, ont fait à côté leur théâtre, histoire d’y faire des arènes où l’on allait voir les combats. Deux approches radicalement différentes du spectacle.
Nathalie et Frédéric, en visite à Syracuse. Ils
m'ont accompagné dans la visite aventureuse
du Ciane et de l'Anapo. Un beau moment
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Les théâtres grecs offrent toujours des perspectives splendides comme à Syracuse où il s'ouvre sur l'infini maritime. Le paysage est un élément du décor, lui même élément du spectacle. |
Mausolée de Sainte-Lucie, avec mon vélo qui surveille l'entrée |
Tant qu’à être dans les légendes, Syracuse est aussi marqué par le culte de Sainte Lucie, qui a irrigué l’Europe entière.
Mais je cherchais aussi autre chose à Syracuse. Une de mes histoires anciennes y avait commencé à la gare, une petite gare pour une grande ville, qui se trouve toutefois à l’écart des axes ferroviaires. Mais la gare de
Syracuse est aussi celle de Sebastiano Vittorini, chef de gare et littérateur.
Ça m’a amusé de voir que Vittorini, dont
le bouquin le plus célèbre se passe pour grande partie dans un train, soit le
fils d’un chef de gare. Bien avant le vélo, c’est par le train que j’ai
découvert l'Italie, bien avant le vélo.
Dans les trains italiens les gens se parlent. C’est même là que j’ai appris la
langue.Gare de Syracuse, la plaque rend hommage à l'écrivain Elio Vittorini et à son père. En quelques mots elle replace sa vie et son oeuvre dans un contexte familial et ferroviaire |
Sans doute c’est à la gare que j’ai pris conscience que mon
voyage était terminé. Je commençais à être confondu avec un touriste quelconque.
Je ne savais plus où aller. Je quittais le statut de voyageur pour celui de
vagabond, et c’était finalement difficile. Sans doute j’étais perdu dans une
Sicile trop grande pour moi.
Dans une ultime pérégrination, je me suis rendu à Vulcano,
une visite qui me semblait impérative. Je suis passé par la pointe nord de
l’île, celle à partir de laquelle on voit Scylla, de l’autre côté de la mer
Ionienne, avant de passer sur la Tyrrhénienne tout en longeant les marais porteurs
de moules et d’huîtres… à deux pas des espadons, et des poissons fantastiques
qu’on retrouve sur le marché de Messine.
Vulcano, on la retrouve après trois quart d’heure de bateau
qui permettent d’apercevoir les îles Lipari, Salina et Stromboli surmonté à
jamais d’une volute de fumée. Dès la sortie du bateau, on est dans une
atmosphère soufrée, qui vous accompagne pendant une centaine de mètres. On va
se prendre un bain dans une piscine soufrée, naturelle, qui a l’époque était
libre d’accès et qui maintenant coûte 3 euros. Le jeu consiste à s’y recouvrir
de boue. On vous conseille de ne pas y rester plus de 10 minutes. Les yeux m’en
ont piqué quelques jours pour avoir dépassé la dose prescrite mais surtout,
pendant plusieurs semaines, mon corps, mes vêtements ont été imprégnés de l’odeur
du soufre. Le soufre que l’on voit colorier les roches de diverses teintes du
jaune à l’orange et surtout, une fois sorti de la piscine destinée au bain de
boue, si l’on se plonge dans une mer pétillante, trop chaude sans doute pour
qu’un corps humain y reste trop longtemps et où persiste la présence
volcanique. Vulcano, qui a donné son nom au Dieu et aux volcans.
Et si c'était seulement ça le but du voyage : prendre un bain de soufre et revivre la fascination que j'avais vécu à 14 ans lors d'une excursion familiale ? |
Le soufre fait aussi lourdement partie de l’histoire de l’île.
Son exploitation a été terrible au 19e siècle et a largement
participé à l’essor industriel de l’Europe au détriment de la santé de ceux qui
travaillaient dans les mines et en particulier les enfants.
C’était donc ça. Je pouvais toujours délirer sur l’Histoire,
les civilisations, les légendes, les pratiques, les géographies siciliennes,
mais fondamentalement, ce que je portais en moi, c’était ce soufre à ciel ouvert auquel j’avais été confronté pour la première fois de mon existence et qui là
aussi fait tragiquement partie de l’Histoire de la Sicile.
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