Début de la pente qui mène à la Timpa. Le panneau interdit aux deux-roues de rouler en présence de sable volcanique. |
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Si on continue la route, on va vers Catane … ?
J’ai demandé.
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Non, non. La route s’arrête au village en bas. Pour
aller vers Catane, il faut faire demi-tour.
J’ai appris bien plus tard que la Timpa avait un sens. Dans
l’Italie du sud, la Timpa
est une pente rocheuse, en Sicile est particulièrement sur les flancs de
l’Etna, la Timpa
signifie une pente qui descend directement et brutalement dans l’eau, laissant
parfois la place à des lieux de vie en impasse.
Je voulais aller à Catane aussi pour voir Martino, le frère
de Mateta qui devait me parler de sa Sicile. En attendant, je me retrouvais
dans ce camping, à flanc d’Etna, qui contenait la plus petite plage que j’aie
jamais rencontrée, et qu’on ne pouvait rejoindre que par ascenseur. C’est un
paysage façonné par l’Etna dont les hommes se sont accommodés avec talent. Sur
cette route aussi il y a des panneaux
qui interdisent aux deux roues de rouler en cas de pluie de cendres
volcaniques. On est dans un autre monde.
Vue de Santa Marie della Scala, port situé dans une impasse au pied d'Acireale |
Martino a voulu me résumer la Sicile. Il m’a appâté par la
bouche et j’ai mordu. On ne prend pas de cappuccino en Sicile, au petit
déjeuner. Au mieux ça fait italien, au pire ça fait touriste, en tout cas, ça
ne fait pas sicilien. Les siciliens ont inventé la glace. Plus exactement, ce
sont les arabes qui l’ont inventé, sur les pentes de l’Etna. Ils ont découvert
que la glace qu’on trouve là haut, se conservait avec un peu de sel, et que ça
pouvait être utile là où il faisait chaud. Ils ont trouvé le moyen de la
transporter et de l’exploiter. Quelques siècles plus tard, avec l’électricité,
les siciliens, puis les italiens sont devenus les champions européens de la
glace. Il y a des glaciers partout en Italie. Mais c’est en Sicile qu’on petit
déjeune le matin avec un granita et une brioche, ailleurs, c’est juste espresso
brioche, ce qui laisse un français normal sur sa faim. J’ai vu Martino deux
petites heures dans mon existence. Seulement, ça suffit parfois pour rendre les
gens inoubliables. Il m’a parlé de l’Anapo, de la moto et moi, j’étais là à
l’écouter béatement en dégustant un granita à la pêche qui me replongeait dans
toute l’histoire gastronomique de la
Sicile et de l’Italie. Je savais que sorbet était un nom
d’origine arabe, mais je n’en savais pas plus. J’avais tellement de choses à
découvrir.
Il m’a aussi expliqué que le chocolat qu’on fabrique à
Modica ne fond pas. Il vient de l’occupation espagnole qui ont transmis à
Modica la passion du chocolat qu’ils venaient de découvrir en Amérique. C’était
le moment où les espagnols étaient maîtres du monde. Ils étaient si riches
qu’ils ont ils pu reconstruire toutes
les villes atteintes par les tremblements de terre au 18e siècle, ce
qui leur donne leur style baroque.
La plus petite plage du monde ? Peut-être. Seul l'ascenseur permet d'y accéder. Elle est entourée de falaises crées par le déversement de la lave de l'Etna, deversée dans la mer il y a des siècles. . |
Martino continuait à me parler, et je me disais que je
l’avais déjà vu quelque part. C’était pourtant impossible que je l’aie déjà
rencontré, et a priori il ne ressemble pas à sa sœur que je connais un peu. Ce
retraité de fraîche date, jovial, motard et barbu, je l’avais déjà rencontré
quelque part. J’en étais sûr. Ce n’est qu’après que j’ai trouvé, quand il m’a
laissé au camping de la
Timpa. Martino , c’est
le père Noël. J’en suis à peu près sûr. J’ai peut être confondu, mais il lui
ressemble vraiment.
Devant rester quelques jours à la Timpa , je me suis donné le
temps de lire. On ne lit pas beaucoup en vélo. Les étapes sont trop longues et
quand on arrive, on doit s’occuper de soi, de monter la tente ou de parler à
ceux qui nous font grâce d’un hébergement.
Je me suis donc plongé dans la lecture des Malavoglia, de
Giovanni Verga, un classique de la littérature italienne, injustement inconnu
en France, qui raconte l’histoire de pêcheurs qui perdent tout avant de se
perdre. L’histoire se passe précisément dans le coin où je séjournais, dans ces
petits ports coupés de tout, où la survie était difficile et vous mettait à la
merci de la moindre difficulté.
Terre de rapine, je ne sais si le livre a été traduit en Français, mais c'est une enquête passionnante et une écriture intéressante |
En fait, sans que je l’aie vraiment voulu, mes lectures m’ont
porté sur les lieux que je traversais. Ainsi, Les Malavoglia, autour
d’Acireale, le livre de Paolo Rumiz sur la voie Appienne et plus tard « Terra di rapina », terre de
rapine, de la journaliste italienne Giuliana Saladino qui, refait l’histoire
sociale et politique de l’après-guerre en Sicile, à partir d’un fait divers qui
s’est produit dans le Nord de l’Italie. Un jeune homme se fait lyncher par la
foule après un hold-up foiré à Turin. Et c’est son histoire, et celle de sa
jeunesse, dans un village Sicilien près d’Agrigente qu’elle raconte à l’aide de
témoignages, et qui permet de comprendre les espoirs et les échecs de l’histoire
de la Sicile
de l’après-guerre. Ainsi comprend on mieux en creux l’histoire de la porte des
Genets, où Salvatore Giuliano a organisé et commis le massacre d’une
manifestation à Piana degli Albanesi, village situé sur un plateau à vingt
kilomètres de Palerme.
J’aurais bien été à Piana degli Albanesi. Pas seulement
parce que l’histoire de cet attentat m’obsède, à l’image de toute la Sicile. On comprend d’autant
moins les horreurs quand elles sont des contresens historiques. Ainsi en est-il
des attentats djihadistes.
Passage nécessaire sur l'Etna avec un guide. C'est un peu cher, mais comme souvent, si la visite se passe sans guide, on ne comprend pas grand chose. |
Même l’histoire de cette commune est curieuse, jusqu’à son
nom … Puisqu’avant de s’appeler la plaine des albanais, elle s’appelait Piana
dei Greci, plaine des grecs. Un peu comme San Vito dei Normanni s’est
appelé San Vito degli Schiavi, Saint Guy
des Slavons, attention, pas Saint Guy des Esclaves, comme une homonymie tendrait
à le faire croire.. Mais je suppose qu’au fond cette homonymie a joué son rôle dans le changement de nom de la cité. Il n’empêche, avec
tous ces gens qui s’envahissent les uns les autres, pas facile de s’y retrouver
quelques siècles plus tard. Pour ce qui est de Piana degli Albanesi, en tous
les cas, même si elle fût grecque, la commune est porteuse de toute l’histoire
et du folklore de la communauté albanaise, du moins à ce que j’en sais par oui
dire
J’aurais bien été à Piana degli Albanesi, comme dans tant
d’autres points de la Sicile. En
fait, j’étais un peu venu pour ça... Tous ces kilomètres, ce n’était pas pour
me morfondre sur place. Je voulais voir
les îles, de l’île. Lampedusa, d’abord, lieu d’échouage des réfugiés qui
viennent du sud de la Méditerranée ,
ou même encore de plus loin, et qui ont survécu alors que 10.000 d’entre eux se
sont noyés. Ensuite, voilà, les Lipari, Stromboli, Ustica, l’île d
es femmes …
Dino et moi, le jour de la procession, photo Maurizio |
Mais je ne savais
plus pourquoi j’étais là. J’étais là parce que j’avais voulu partir. J’étais là
parce que je voulais voyager. J’étais en Sicile parce que cette terre me
fascinait.
Une fois en Sicile, en plein été, rien ne me distinguait vraiment d’un touriste banal. L’arrivée au but
faisait que je n’étais plus un voyageur, même si je m’y étais rêvé pour
l’éternité.
Il y a tellement de choses à faire que l’on est rapidement
débordé. Je me voyais là, face à mes projets, comme les sont les siciliens devant les dépôts d’ordure qui ornent
leurs plus beaux paysages.
Ce sont des Dieux, disait Lampedusa à propos des siciliens.
Ce n’était pas admiratif de sa part, mais il était fasciné par l’histoire de ce
peuple, de ces peuples qui n’ont cessé d’être envahis, mais que les
envahisseurs eux-mêmes ont voulu porter vers l’universel, offre que les
siciliens ont à chaque fois rejeté. Ce sont des Dieux. Ainsi en est il du tri
sélectif, comme il le fut de la réforme agraire après guerre, comme de tout ce
qui enlise la Sicile
dans son destin. Ainsi, si les siciliens se laissent envahir, s’ils n’ont
jamais revendiqué sérieusement leur indépendance, c’est par fierté.
La seule révolte qui a embrasé toute l’île remonte au XIIIe
siècle, et était dirigée contre les Français. C’étaient les Vêpres siciliennes.
Dans la maison de Dino, présence inévitable d'une représentation religieuse. |
Si Lampedusa n’a pas complètement raison, il ne peut pas
avoir tout à fait tort. On ne prend pas comme ça toute la place du génie
sicilien, occupée par Pirandello, Verga, Vittorini, Le Caravage sans que cela
recouvre une réalité.
Ce sont des dieux, les Siciliens et j’étais intimidé sur cette
terre où les Dieux sont partout.
L’Etna, Vulcano, bien sûr, le soufre, la mer, les mers, les
courants et les vents … même si le christianisme a réussi à s’y implanter 3
siècles après tout le monde.
Saint Guy, Sainte Agathe, Sainte Lucie, et des Vierges comme
s’il en pleuvait accompagnent la bigoterie sicilienne. A Catane, la spécialité
de la ville est une pâtisserie en forme de petit nichon. Sainte Agathe qui se
les était fait arracher selon la légende. Fêtée le 5 février, Sainte Agathe a
pris la place d’une fête romaine de la fertilité. Sainte Lucie est syracusaine
et Saint Guy est mort à 13 ans d’avoir voulu évangéliser l’île.
On trouve des traces de bigoterie un peu partout en Sicile,
des petites niches dans les maisons, des processions, comme celle qui de la Madonna di Dinnamare, Madonne
des deux mers en Sicilien.
Image de la procession au petit matin du 4 août |
La procession est aussi le moyen de faire une jolie
promenade sur les monts Péloritains histoire de profiter au petit matin d’une
vue imprenable sur les deux mers, la
Calabre d’un côté et de l’autre Milazzo, la Tyrrhénienne et au
bout les Eoliennes, Stromboli, Vulcano. J’y ai été amené par Dino, qui m’a fait
lever à deux heures du matin, histoire de rejoindre un peu plus loin les
pèlerins qui venaient de Messine, accompagnant une image sainte, certains,
certaines, peu nombreux marchant pieds nus. La plupart étaient venu en voiture,
en moto, en vélo, et même à cheval.
Dino et son collègue Maurizio à la procession de Madonna di Dinnamare |
Arrivé sur les hauteurs, je n’ai pas vu grand chose. Un
nuage brouillait le panorama. Je me suis distrait des dévotions, mais la messe m’a
interminable. Elle était heureusement
agrémentée par les hurlements des chalands qui parvenaient jusqu’à nous et
tâchaient de profiter au mieux de la foule pour revendre granitas, amendes,
noisettes et autres friandises. Le curé dans son homélie se lançait dans une explication sur la
différence entre pèlerin et vagabond, comme quoi, il ne faut pas mélanger
torchon et serviette. Cela me rappelait Santa Severina, et Luigi qui en voulait
tant aux vagabonds. Ces fascinants vagabonds. Vagabond, qui reste l’un des plus
beaux mots de la langue française.
Quand tout cela fut terminé, il y eut la descente vers
Messine. C’était un moment important puisque depuis 15 jours je louais le
logement qu’il avait aménagé. Dino, je
l’ai rencontré dès que je suis arrivé en Sicile. Il m’a tout de suite
proposé de m’héberger gratuitement en me
montrant sa carte professionnelle, pour que je n’aie pas peur de son
invitation. Il est policier, maresciallo, ce que je traduirais par commissaire.
File de pèlerins au petit matin à quelques centaines de mètres du sommet |
Dino a des amis partout. C’est une belle personne, comme on
dit. Il a des amis bergers, chez qui nous sommes passés lors de la descente. Ce
sont des amis qui vivent avec bêtes et chiens, sur les pentes. Il a aussi un
ami collègue, Maurizio, qui l’accompagnait à la procession, et dont j’avais
remarqué qu’il prenait la religion au sérieux.
- « Ah ! s’extasia Maurizio en voyant les bergers,
C’est que vous êtes un parfait exemple
que l’on peut s’épanouir dans la vie en dehors de l’école et des conventions,
simplement en vivant dans la nature au milieu des bêtes… »
- « Mais pas du tout ! dit le berger, moi, je
voulais aller à l’école. J’ai été obligé d’aller bosser dès l’âge de douze ans,
mais ce que j’aime, c’est la poésie et la musique, et je ne pourrais jamais
vivre de ce que j’aime. »
Costantino et son instrument, avec Carlo et son tambourin . |
Dino au flûteau, fabrication garantie du berger Costantino |
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