lundi 18 avril 2016

Briare

Il fallait que je passe par Briare. Pas seulement par ce que c'était sur ma route, après tout, sa route, on se la choisit, mais surtout parce qu'Eric, un ami d'enfance m'avait fait signe et que ça m'avait interpellé. 
Je gardais de lui de vagues souvenirs, comme un énorme besoin d'amitié. On avait alors entre 12 et 14 ans, période riche et difficile, et d'autant plus incertaine qu'on était à l'époque de mai 68 auquel nous ne comprenions pas grand chose, ce qui ne nous empêchait pas de prendre parti... sauf que, déjà nous avions pris précisément parti dans des sens opposés.
Ça a d'ailleurs continué puisqu'il se situe tellement à droite de l'échiquier politique que je suis incapable de lire ce qu'il publie sur facebook.
Le fait qu'il habite à Briare me fascinait aussi au cause du pont-canal, ouvrage d'art dont la photographie ornait le bureau de mon collègue ingénieur François Brée. 
Que fait cet amphithéâtre ici, perdu au milieu de la route ?
 
Sur la route, je rencontrai un amphithéâtre romain dans un lieu improbable. 
Mais qu'est ce qui a poussé des hommes à construire un amphithéâtre ici même ? Un lieu de spectacle sans spectateur ... Puisqu'il ne reste aucune trace d'un habitat important. 
C'est là que je me suis souvenu d'une conversation avec une architecte des bâtiments de France qui m'avait expliqué que les églises n'étaient pas toujours construits au cœur des lieux de vie, mais prenait parfois place sur des lieux magiques, la religion chrétienne ayant bâti son succès sur sa capacité de récupérer tous les mythes existants. Ainsi en est-il des amphithéâtres sans doute, témoignage du besoin des hommes de se rassembler et de la dimension magique du spectacle. Cela valait en tous les cas de prendre une photo.
J'avais prévu de retrouver Eric à 19h. Et je suis arrivé au point prévu à ... 19 heures. C'est bien la seule fois depuis le début du voyage que cela m'est arrivé !
Nous avons parlé quelques heures, trop courte sans doute, mais où l'on s'est dit des choses essentielles, comme le fait qu'un demi siècle plus tard, entre un pré-adolescent et un retraité de 61 ans, il reste toujours l'essentiel dans le phrasé, le regard, la voix. Ce qui permet à deux individus de se retrouver comme si c'était hier. Il me parlait de mon air paumé, étant ado, ce qui l'a visiblement séduit... paumé et créatif. Il m'a reparlé de sa mère, encore vivante et en forme à 103 ans et de son père, que je n'ai jamais rencontré et qui en était d'autant plus fascinant. Eric était enfant de divorcé ce qui était peu commun à l'époque. Il m'a parlé de l'histoire de son père, et de la nature de son engagement dans la Résistance, qu'il estimait dû au hasard ...
Tu parles d'un hasard ! Le père avait été arrêté par les collabos, probablement parce qu'il avait un nom pas français. Il avait été torturé avec des fers à repasser. Il avait été humilié puisque déshabillé pour vérifier qu'il était circoncis, ce qu'il n'était pas ... et puis il s'était évadé probablement en tuant un de ses gardiens. Récit époustouflant, qui raconte si bien le rôle de la connerie alliée à la violence dans l'histoire. Comment l'enfant d'un tel récit peut il en être amené à collaborer, c'est le mot, avec les héritiers historiques de la milice, c'est à dire le Front National ? 
Je veux bien écouter tout ce qu'il me raconte, le fait qu'il se sente stigmatisé en tant que petit patron, pourtant gagnant infiniment moins qu'un cadre moyen d'une grosse boîte, le fait qu'il y ait des gens qui profitent du système d'aide sociale ... Bon, mais de là à s'acoquiner aux représentants de la connerie et de l'exclusion ... Je dois dire, les bras m'en tombent mon cher Eric. D'autant que tu fais le plus beau des métiers : imprimeur !(je ne parle pas de celui pourtant respectable de videur de boîte de nuit que tu as pratiqué à tes moments perdus ... ) Il doit y avoir un épisode que j'ai loupé. 
Tout cela en tous les cas, fait partie intégrante du voyage ... Ces rencontres renouvelées qui permettent d'aller à la connaissance de soi par les autres. Je retiens aussi ces réflexions sur les arts martiaux que tu pratiques solidement depuis des décennies.  Moi je ne les ai abordé qu'en touriste : kung fu, karaté, boxe française ... Je retiens de tout cela que finalement, ce qu'on a appelé harmonie, en traduisant comme on le pouvait la notion orientale, pouvait aussi s'approcher de la notion de cohérence, voire aussi de celle de confort.
Le fameux pont-canal de Briare au petit matin
Reste aussi les paysages... Même si je m'en veux de ne pas avoir pris Eric en photo. La discussion a été trop riche pour que je pense aux formalités. Reste les paysages disais-je. Avant de partir le lendemain, j'ai fait un tour pour voir le pont-canal de Briare, le plus long de France, peut-être d'Europe... Quelque chose d'Escherien. L'eau qui passe au dessus de l'eau, sans se mêler. En voilà une image. 
L'oeuvre d'Escher à laquelle me ramène le Pont canal



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