samedi 20 août 2016

Appienne qu'elle était, la voie !

Ce n'est pas le bouquin de Paolo Rumiz, acheté à Florence, qui m'a convaincu de passer par la voie appienne. En fait, j'ai toujours été fasciné par ce nom, sans trop savoir d'où ça venait. J'y étais déjà passé à pied, lors de mon voyage interrail[1] qui m'avait permis de traverser l'Europe à 18 ans avec ma petite amie. Je crois même que c'est avant que je sache que c'est sur cette route que l'on avait crucifié Spartacus et tous ses compagnons de misère. C'était aussi avant que je lise le mépris, à moins que ce ne soit l'ennui, de Moravia, je crois plutôt que c'est l'ennui, où il est question d'un jeune homme victime de l'ennui lors même qu'il vit dans l'une des belles et riches demeures qui longent cette voie à présent dédoublée entre via appia antica et via appia nuova.
Une chose quand même. Il n'était pas question que je quitte Rome sans voir le Colosse, le Colysée que je souhaitais saluer par politesse, même si je ne voulais m'y attarder. 
Salut à toi, vieux Colysée !
Ca tombait bien, j'étais tout près. Pas loin non plus la via Appia. En m'arrêtant à une fontaine, je me fais aborder par Giuseppe, un cycliste qui se propose assez rapidement de faire le guide touristique. 
Je lui parle de ce que je connais de la Via Appia et qui me vient du bouquin de Rumiz, que je lui conseille, dont il n'a jamais entendu parler, et qui l'intéresse. Il est jeune retraité, un peu comme moi, mais bien plus jeune que moi. Il m'explique, pendant que je cherche son profil sur facebook, qu'il doit être répertorié comme policier, au ministère de la justice... 
Tiens, tiens, je me dis... bizarre, bizarre. Policier, ministère de la justice ? Il n'ont donc pas lu Montesquieu en Italie ? Ils ne connaissent pas la séparation des pouvoirs comme fondement de la démocratie ? Je ne comprends pas ...
Ce n'est qu'à force de parler qu'il m'explique que, voilà, il n'en a pas l'air sur son petit vélo, mais il était gardien de prison pendant plus de 30 ans à Regina Coeli, l'un des lieux d'incarcération les plus célèbres d'Italie, ancien couvent situé au cœur de Rome qui a notamment hébergé le procès des terroristes des brigades rouges à l'époque des années de plomb.
Giuseppe, un guide de première main
C'est un métier comme un autre, me dit-il. Il n'a pas tort dans le sens où aucun métier ne ressemble vraiment à aucun autre. Il n'est pas là pour parler de ça, de toute façon. 
Il m'emmène devant le  Mausolée de Cecilia Metella. C'est un bâtiment que l'on ne peut pas louper quand on est sur la voie appienne ... On peut se tromper comme moi pour savoir de quoi il s'agit, mais il a l'avantage d'être le premier sur la route antique. Moi qui croyait qu'il s'agissait de Sainte Cécile, mais non ! Cecilia Metella est une riche romaine qui a eu droit à un mausolée monumental, plutôt épargné par le temps et n'a rien à voir avec la Sainte Cécile qui, à quelques hectomètre, a sa place dans les catacombes. 
Selfie devant le mausolée Cecilia Metella
Je poursuis cahotant cette route pleine de fantômes. Ça cahote pas tellement à cause des esprits qui chahutent, mais bien plutôt à cause des pierres, de ces immenses pavés, que l'on retrouve à peu près dans tous les centres villes d'Italie et qui ont pour avantage de faire ralentir les voitures. Elles ont cependant pour grand inconvénient de rendre très pénible la circulation cycliste, et quasiment insupportable le passage des cyclo-campeurs dont les bagages se trouvent brinquebalés et en rajoutent sur l'inconfort. Dans ce cadre, les pauses sont les bienvenues, rythmées aussi par des averses intermittentes, malgré l'annonce du beau temps. 
arrêt bistro : allusion à Isis
Ces immenses pavés, en fait, sont encore
moins praticables sur la voie appienne que
dans les centre-ville de l'Italie. On les dirait
juste là pour le folklore et rappeler le passage
des 
chars à boeuf, façon Asterix
Nous nous quittons après une heure de parcours en commun, chacun retournant vers son destin. Moi, j'ai pour but d'aller vers le sud, direction Gaeta. Je cherche en fait une plage, où un bord de mer où je suis sûr de trouver un camping et un hébergement bon marché. J'ai pris plaisir à rouler sur la voie appienne, mais je dois dire que délaisser les pavés inconfortables m'apportent réellement de la joie. Dans mon désir de quitter la voie, je prends la route des lacs, me doutant toutefois qu'assez rapidement je serais sur des hauteurs à escalader, mais entre ça et le risque de me retrouver sur une 4 voies sans intérêt et dangereuse, mon choix et vite fait. 
Je grimpe sur une route difficile avec l'intention de m'arrête assez rapidement pour un pique-nique en profitant du retour du beau temps. À Martino, je remplis mes gourdes à côté d'une boulangerie, tout en remarquant une camionnette qui attend à proximité avec des bouteilles vides. 
Ce n'est que quelques centaines de mètres plus loin que je comprends, confortablement installé dans le petit jardin public, dont l'animation est assurée par un marcheur qui en fait le tour tout en faisant la conversation avec les passants. Pour ma part, je m'en distrais en enfournant ma pitance et buvant à ma gourde. Ici, surprise. L'eau a un goût extraordinaire, fin et original. Je comprends soudain la présence de la camionnette. L'eau du village est d'une qualité exceptionnelle. Dommage qu'à vélo je ne puisse pas la stocker. Je me console avec une petite sieste, avant de reprendre une ascension difficile et assez longue.
Le lac d'Albano, au loin Castel Gondolfo, lieu où ses situe
la Résidence des Papes
Heureusement, la récompense est là. Je vois sur les panneaux routiers Castel Gondolfo, la résidence du Pape. En fait, j'apercevrai la commune de l'autre côté du lac d'Albano, grâce à une vue large et magnifique. Pour autant, la route continue de s'élever et la chaleur s'amplifie. 
La récompense de la descente ne viendra qu'après la commune de Nemi, qui annonce l'arrivée d'un paysage radicalement différent à Velletri, lorsque rejoindrai un peu plus loin la via Appia. 
Jusqu'à Velletri, la descente est longue et d'autant plus rassurante qu'elle annonce l'arrivée sur les Marais Pontins, cette plaine de infestée de malaria, dont on dit qu'elle a été assainie et peuplée sous le fascisme. C'est une plaine riche, débarrassée des marais et moustiques, dont la capitale est significativement appelée Latina. J'y fonce tout droit, avec le vent dans le dos. Bientôt, dans moins d'une cinquantaine de kilomètres, je serais à la mer. 
Je prends un petit café sur la route. Le patron me guette du coin de l'oeil et attend que je lui annonce d'où je viens pour sortir sa réplique toute prête 
-  Un francese che fuge davanti Isis ... Un français en fuite devant Daesh !
Je prends ça comme une insulte inadaptée qui attaque mon pays autant que moi même. 
Je me vengerai en pédalant. 
Première vue maritime depuis Gênes. C'est toujours une
délivrance. Le littoral s'annonce magnifique à Terracina.
J'en ai pour une vingtaine de kilomètres. 
Effectivement, les vents me portent dans la plaine et au milieu des rangées d'arbres j'arrive assez rapidement à Terracina, entrée du littoral. La baie s'annonce magnifique, le paysage radicalement différent : à droite, la mer magnifique, à gauche, la publicité pour la mozzarella. Je me dis que je trouverai facilement un camping à Sperlonga. 
Le joli village de Sperlonga figure parmi les
plus jolis bourgs italiens, ce qui est une
référence
Mauvaise pioche. Je me perds un peu dans la ville ancienne, jolie, mais qui me pousse à une nouvelle escalade que je ne souhaite pas, et d'autant moins que rien ne dit que je trouverai un camping ... Rien. Pas d'annonce. Du coup je demande à un passant qui m'assure la proximité du camping Nord-Sud
Quel drôle de nom pour un camping. J'y arrive en freinant bruyamment après une descente rapide ... Un groupe de jeunes femmes stupéfaites en arrêtent leur débat et me fixent comme si j'étais un extra terrestre. La patronne reprend le dessus : ne me privez pas de la clientèle. 
Elle me propose pour un prix assez élevé l'une des places les plus inconfortables que j'ai jamais occupé. Une tente à placer sur du gravier. J'ai la chance d'être trop fatigué pour faire attention à ce genre de détail. Je dormirai sur du caillou. 
Qu'importe, le camping donne sur la plage et je pourrai en profiter au réveil demain matin. 

















[1] Je reparlerai plus tard de ces voyages qui permettaient, une fois payé un droit d’entrée de voyager librement à travers tous les pays de l’Europe occidentale. A l’époque, celle-ci était divisée en deux et la sphère sous influence soviétique était bien sûr interdite. N’empêche, elle a donné à toute une génération une soif d’Europe et de voyage. Il faudrait j’en suis sur renouveler ce type d’expérience, la subventionner et ce serait là une nouvelle chance pour l’Europe. Pour ma part, ce voyage vers la Sicile et l’inconnu n’aurait jamais eu lieu si je n’avais connu eu cette expérience lors que j’avais 20 ans. 


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