Finalement, c’est vrai, je pouvais partir. La Sicile,
fait complètement partie de moi. Je ne me séparerais jamais des marques qu’elle
m’a laissées. Les vraies amours ne meurent jamais.
Dernier regard vers la Sicile, avec vue sur un incendie vers Mili San Marco, où je venais de passer une quinzaine de jours avec Sylvie. |
J’ai donc pris le train, le 5 août au matin à partir de
Catane pour me rendre à Milan. Même après ce que j’avais vécu, c’était une
sacrée expédition. Il fallait mettre le vélo dans un sac, acheté assez cher un
an avant, mais qui en fait n’était pas vraiment idoine puisqu’une large partie
de son garde-boue arrière débordait. Ce n’était pas le pire. Le vélo pesait
toujours 15 kilos, auxquels il fallait rajouter les 3 kilos du sac qui était
censé le contenir et les bagages qu’il fallait bien amener sur le quai n°5 de
la gare de Catane, vu que dans ma crainte de ne pas y arriver, j’avais préféré
porter tout cela avec mes bras, et en plusieurs voyages.
Heureusement que j’avais prévu d’embarquer au point de
départ de la ligne, étant donné le temps qu’il m’a fallu pour faire installer
tout cela dans un compartiment où j’étais bien heureux de me retrouver seul.
Cela n’a pas duré. Dès Messine, 50 km plus loin, un couple de
cinquantenaire a mesuré le peu d’espace que je leur laissais. J’ai remis le vélo
à la verticale, mais même s’il tenait deux fois moins de place, ça ne laissait
à personne dans le compartiment la possibilité de prendre ses aises.
Bah ! Me dis-je, ce n’est qu’un mauvais moment à
passer. Au petit matin, à Milan, tout cela sera vite oublié…
Après avoir profité des sensations inépuisables offertes par
le passage de la Sicile
à la Calabre ,
des wagons s’installant sur le ferry et d’une dernière vue sur Messine,
découvrant et m’inquiétant d’un incendie semblant provenir de Mili San Marco, le
village de Dino, où je venais de passer une quinzaine de jours avec Sylvie, qui
m’y avait rejointe, je constatais que le train allait s’arrêter une petite
heure à Villa San Giovanni. C’était le moment de se prémunir pour la nuit en
achetant quelques victuailles et en prenant un dernier granita.
Je revins à temps pour reprendre ma place, mais aussitôt, le
chef de train vint vers moi et me proposa de me changer de wagon afin de
bénéficier d’un compartiment pour moi tout seul. Inespéré. Ainsi ai-je pu
m’installer à mon aise, une fois charriées toutes mes charges. Je n’avais plus
qu’à profiter de la vue exceptionnelle du littoral du coucher de soleil jusqu’à
ce que la nuit tombe sur Marina di Ascea
où j’avais quelques souvenirs … Lors même qu’au petit matin le train repassait
par Carrare, Gênes et toutes ces cités qui m’avaient offert bonheurs et
angoisses à l’aller.
Enfin vint le moment de sortir du train à la gare de Milan.
Je laissais tous les voyageurs sortir afin d’avoir tout loisir de descendre mes
bagages et mon vélo avant de les remettre en bon ordre sur le quai, ce dont je
n’étais pas sur d’être capable.
Eleonara et Simone, une de ces belles belles rencontres qui rendent le retour beaucoup moins difficile. |
Eleonora et Simone étaient montés dans le train à Salerne,
au moment où j’avais choisi de m’endormir. Ils proposèrent leur assistance pour
remettre mon vélo en état, aide que je repoussai fièrement en ayant peur
toutefois d’avoir à les solliciter une fois que je me serais emmêlé les
pinceaux … mais non. J’ai réussi à sortir le vélo, remettre mon patin de frein
qui était tombé au fond du sac, rechargé les bagages auxquels il fallait
ajouter le sac à vélo, pesant et encombrant. J’étais ainsi dans une situation
parfaite pour suivre mes amis à Milan, qu’ils me disent ce qu’il ne fallait pas
manquer dans la ville, et que je profite du petit qu’ils m’ont offert dans un
parc Milanais tout en échangeant sur leur voyage avant que le destin ne nous
sépare. Ainsi en est-il des voyageurs lorsqu’ils se croisent.
Ils devaient reprendre le boulot le lendemain. Simone pour une nouvelle aventure
professionnelle dans une association d’aide aux réfugiés, et Eleonora dans une
entreprise suisse qui chargé de la vente de matériel pour cyclotouristes.
La Piazza Fontana, à proximité du dôme, n'était pour moi qu'une référence tragique. Le hasard de l'errance me l'a fait rencontrer et revivre un bout de mon histoire et de celle de l'Italie |
Ainsi donc, l’après midi, puis le soir, puis le petit matin,
j’ai erré dans les rues de Milan, passant devant son dôme en dentelle, les
galeries chic, et l’architecture moderne de la cité et puis les lieux
historiques, culturels et tragiques. Découverte du château des Sforza et du parc du Simplon, du nom du
col que j’aurais à escalader le surlendemain. Pas possible de ne pas être ému
devant le panneau devant le Piccolo Teatro
qui a pris place là où les détentions arbitraires et tortures étaient organisées sous le fascisme.
Pas possible non plus de passer piazza Fontana sans trouble. Je me souviens juste de l’attentat
commis en 1969, lorsque je m’éveillais à la vie politique. En fait, je dois
reconnaître que ce n’est pas à l’attentat que je m’étais intéressé, mais à ses
suites. L’attentat a été le point de départ des années de plomb, qui ont marqué
la vie politique italienne, avec lien entre extrême-droite et services secrets
italiens. Ainsi, un vieil anarchiste, accusé à tort de l’attentat avait-il été
défenestré pendant un interrogatoire. L’attentat avait 16 morts et 88 blessés.
Découverte inattendue à proximité de Malpensa, surtout connue pour être l'aéroport de Milan. L'intérieur de la petite église est couvert de fresques magnifiques. |
Le surlendemain a amené une rupture définitive.
Contrairement à ce que m’avait laissé espérer Eleonora, j’ai eu bien des
difficultés à franchir le Simplon.
J’étais bienheureux de pouvoir profiter de mon petit plateau et de mon grand
pignon, de nouveau en état de marche, grâce au « presidente », le copain de Dino, marchand de vélo à Messine,
qui a résolu mon problème en raccourcissant ma chaîne et en m’assurant que mon
vélo allait très bien.
Dernier épisode de cyclo-cross. Le raccourci pour Domodossola, au pied du Simplon m'a imposé de passer deux gués avant d'atteindre une piste cyclable digne de ce nom |
La découverte du Lac Majeur. La Suisse est bout, mais elle est déjà là. |
Ce n'est pas le col du Simplon qui fait la frontière, mais le passage de celle-ci est toujours un évènement. Addio Italia ! |
De fait, le lendemain, je rejoignais enfin la France , en abordant le lac
Léman et je m’étais fixé pour but de rejoindre au plus vite Lyon, la ville où
réside la famille de mon fils Grégoire et de son épouse Laure avec Karine et
Auriane, leurs deux petites filles
Le col du Simplon et la neige qui l'environne |
A Lyon, je n’avais plus qu’une étape : prendre le train
de 7h16 à la Part Dieu
où l’on arrive après avoir traversé la ville d’autant plus endormie que c’est
le matin du 15 août. C’est un train que j’aime parce qu’il est lent et qu’il
accepte les vélos. On met 5 heures pour arriver à Paris, un luxe que les autres
trains n’offrent plus. Les wagons y ont un espace aménagé pour suspendre les
bicyclettes à un crochet qui permet de les contempler une dernière fois. On est
loin du TGV.
C’était la fin du voyage, la fin de l’errance. Il ne me reste plus à
présent qu’à trouver de nouveaux sujets de découvertes et d’incertitudes. De
replonger dans l’aventure du quotidien, après avoir connu le quotidien de
l’aventure.